« Le Gabon est un immense chantier dans une CEMAC qui s’intègre de jour en jour ! »
En visite à Washington pour les réunions de printemps du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, qui se sont terminées le 26 avril, le ministre des comptes Publics et de la Dette du Gabon a approfondi ses échanges avec les institutions de Bretton Woods concernant le taux réel d’endettement de son pays. Lors de son passage à Paris, il a évoqué sans ambages pour Financial Afrik la place du Franc CFA centre par rapport au Franc CFA ouest, les relations avec Paris et les efforts d’intégration au sein de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC).
Propos recueillis par Christine Holzbauer
En plus de votre différence d’approche sur les méthodes de calcul du FMI concernant la dette du Gabon, avez-vous abordé le projet de loi déposé au Congrès américain par le Républicain Bill Huizenga proposant une suspension du soutien des États-Unis à toute initiative du FMI concernant les pays membres de la CEMAC, tant qu’une évaluation complète de leurs réserves de change brutes n’aura pas été réalisée ?
Sur le niveau réel de la dette gabonaise, chacun aura compris que nous n’abordons pas tout à fait le sujet de la même façon. Nous poursuivons les échanges et je ne doute pas un instant que nous nous accorderons avec les institutions de Brettons Woods. Ce qui est important en comptabilité, ce ne sont pas les écarts, mais l’explication de ces écarts. Les prévisions du FMI annoncent 70 % alors que nous, nous disons 58 % lorsque nous sommes arrivés (le 4 septembre 2023), 56 % aujourd’hui avec une tendance baissière vers 54 %.Ce différentiel sur le taux d’endettement du Gabon est dû au périmètre adopté. Le FMI retient, naturellement, le périmètre le plus large possible. Ce qui est compréhensible.
Concernant la réglementation de la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC) sur les réserves de changes, elle a été introduite il y a une dizaine d’années pour obtenir des entreprises extractives opérant dans les pays de la CEMAC, de déposer sur place, des coûts établis en provisions et constitués en fonds de remise en état des sites exploités. L’affaire est en discussions depuis plus de six ans. Je suis convaincu que les dernières conversations tenues à Washington, la semaine dernière, augurent d’un épilogue finalement consensuel pour les jours à venir.
Le 17 avril, vous étiez à Paris pour participer à la réunion des ministres de l’Économie et des Finances de la CEMAC, organisée à l’invitation d’Éric Lombard, Ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique de la France. Comment s’est passée cette rencontre ?
Elle a été cordiale et chaleureuse. Il est important, en effet, que les Etats membres de la CEMAC se réunissent avec la France en raison de la coopération monétaire forte qui nous lie. Nous croyons au principe d’une intégration régionale forte avec une monnaie forte, comme c’est le cas du Franc CFA centre. Cette réunion qui a lieu tous les deux ou trois ans, marque ainsi des liens anciens de coopération monétaire et financière. Elle nous a, cette fois-ci, donné l’occasion d’échanger et de réfléchir ensemble sur le renforcement de la résilience et sur le financement de nos économies de la CEMAC en 2025. Ainsi que sur les perspectives et les progrès accomplis en ce qui concerne l’intégration régionale- forte- de nos économies que nous appelons de nos vœux. Cette réflexion, nous la tenons régulièrement entre nous.
Certes, mais comment expliquer cette « convocation », à Paris, des ministres et des gouverneurs de la CEMAC. Pourquoi marquer une telle allégeance à la France ?
Il faut dépasser ces réactions épidermiques et grincheuses. Notre zone monétaire est indépendante : c’est celle de la zone Franc de l’Afrique du Centre. Il faut naturellement la faire évoluer, la faire progresser, mais chaque chose en son temps. A aucun moment, je n’ai eu l’impression d’être convoqué ! Au contraire, nous avons abordé tous les sujets comme entre partenaires dans un dialogue stratégique ouvert et franc.
De surcroit, la France n’est plus le premier partenaire au sein de la CEMAC. Nous sommes, et tous, des patriotes, jaloux de notre indépendance et de notre souveraineté. Au Gabon, 52% de la population a moins de 22 ans. Ils sont nés après l’année 2000, soit 40 ans après les indépendances. Nos besoins en matière d’infrastructures sont énormes. Aussi, sous aucun prétexte, je ne refuserai une invitation d’un ministre partenaire monétaire important de notre zone CEMAC, avec deux grandes interventions des gouverneurs de la BEAC et de la Banque de France. D’autant plus que nos analyses convergent !
Justement, où en est l’émancipation du Franc CFA d’Afrique du Centre vis-à-vis du Trésor français ? Pour le Franc CFA Ouest, les réserves d’or de la BCEAO ont été rapatriées à Dakar et Paris ne siège plus au conseil d’administration. Qu’en est-il de la BEAC ?
Si la totalité de nos réserves n’a pas encore été rapatriée, c’est que nous allons à notre rythme. L’Afrique de l’Ouest est très différente de l’Afrique du Centre. Il est mille fois plus facile de construire des routes au Mali, auNiger ou au Sénégal qu’au Gabon. En plus de la gestion de la forêt tropicale, nous avons quelque 800 cours d’eau à aménager et des ouvrages à construire avec, en moyenne, 2 mètres de pluie par an. C’est pourquoi nous voulons construire notre avenir économique et monétaire, en toute sérénité, en termes de financement et d’appui budgétaire. Or, jusqu’à présent, l’Afrique Centrale a moins bénéficié que d’autres de cet appui.
Tout cela n’empêche pas nos chefs d’Etat de réfléchir à une évolution de la zone monétaire et de la monnaie, notamment un arrimage à un panier de monnaies. Mais nous le faisons à notre rythme et avec méthode ! La situation des Etats de l’UEMOA n’est pas la nôtre, surtout pour le commerce. Pour le dire simplement, pour nous, la fierté nationale et la souveraineté doivent s’inscrire dans une démarche d’efficacité.
Comment la CEMAC vit elle les augmentations tarifaires imposées par Donald Trump ?
Nous sommes moins touchés que d’autres régions d’Afrique où le commerce international est plus diversifié même si nous devons faire preuve de solidarité. Nos exportations vont devoir supporter les 10% de taxes plancher imposés pas l’administration Trump pour tous les produits venant de l’étranger, mais pas beaucoup plus.
L’intégration au sein de la CEMAC peine à se mettre en place. Est-ce parce que les Etats rechignent à la libre circulation entre eux ou bien préfèrent ils attendre la ZLECAF ?
Alors, Zlecaf ou pas Zlecaf, si Yaoundé, Libreville et Bangui ne sont pas reliées, la Zlecaf ne pourra rien pour nous ! Nous devons donc d’abord intégrer les pays de la CEMAC entre eux pour être en mesure, ensuite, de profiter des bienfaits d’une libéralisation des échanges à l’échelle du continent. N’oubliez pas que les forêts sont plus difficiles à franchir que les déserts ; elles sont un frein considérable au développement des échanges !
Au Gabon, le Président a entrepris de lancer des grands travaux avec la construction de ponts et d’ouvrages permettant de relier des localités entre elles. C’est ce qu’il faut élargir à tous les pays d’Afrique du Centre. Au sein de la CEMAC, ce sont des projets prioritaires pour lesquels, nous avons levé récemment plus de 10 milliards d’Euros. Ces projets vont contribuer à désenclaver les zones de production vivrière, par exemple, y compris dans les régions frontalières de notre zone. Il s’agit bien de booster les échanges par l’offre.
En 2024, de nombreuses opérations régionales ont été lancées, ainsi que 100 actions communes et collectives dans le cadre du PREF CEMAC. Soit plus de 6 mille milliards de F CFA, c’est à dire plus de 10 fois ce que chacun de nos pays pourrait engager seul, en une année ! La volonté d’une intégration accélérée de nos Etats est aujourd’hui bien affichée, autant d’ailleurs que la méthode pour en assurer le suivi.
Le Gabon vient d’élire son président avec plus de 94% des suffrages. Comment expliquez-vous ce plébiscite et, serez-vous reconduit dans vos fonctions actuelles de ministre ?
Oui, élu avec près de 95% de voix, je confirme qu’il s’agit d’un plébiscite clair, incontestable et incontesté. Après des années de dictature, de malheurs et d’arbitraire, sans développement, que le Gabon a connues, Brice Clotaire Oligui Nguema a, non seulement libéré les Gabonais, mais il s’est d’emblée mis au travail. Le pays, aujourd’hui, est un immense chantier ! Et tous les dossiers sociaux qui étaient en attente, parfois depuis plus de 10 ans, comme le règlement des pensions de retraite, le rappel de soldes non versées, les bourses d’études, ont été débloqués. Il a aussi débloqué 10 milliards francs CFA pour lutter contre la vie chère, et tout cela en 18 mois !
Je suis très fier d’avoir participé à la tenue d’élections libres, transparentes et concurrentielles, dans un pays où il n’y a plus de contrainte sur la liberté d’expression, ni prisonnier politique. Le chef de l’état, dont l’investiture aura lieu le 3 mai, a promis de donner le meilleur pour conduire le Gabon sur la voie du Développement. En ce qui me concerne, et en toute humilité, je suis, à ses côtés, au service de mon pays, comme beaucoup d’autres.