Par Abderrahmane Mebtoul, Professeur des universités.
Élément chimique utilisé depuis la préhistoire, le fer représente environ 5 % de la croûte terrestre. Les alliages contenant du fer sont essentiels dans divers secteurs, notamment l’alimentation, les médicaments, et surtout dans la sidérurgie, où environ 98 % du fer est destiné à la production d’acier. Le gisement de fer de Gara Djebilet est classé 2e mondial en termes de réserves, avec 3,5 milliards de tonnes, dont 1,7 milliard exploitable, présentant une teneur élevée de 58,67 %, mais un taux de phosphore de 0,8 %. Il est devancé par l’Australie (5,1 milliards de tonnes) et suivi du Brésil (3,4 milliards), de la Russie (2,9 milliards) et de la Chine (2 milliards). Selon le ministère de l’Énergie et des Mines algérien, l’exploitation de ce gisement pourrait permettre d’économiser deux milliards de dollars en intrants, d’exporter et de favoriser l’intégration de l’économie algérienne, sous condition d’un partenariat gagnant-gagnant et d’une descente en aval pour la production de produits à forte valeur ajoutée. Cette contribution présente une brève synthèse actualisée d’un dossier réalisé sous ma direction.
1. Historique et contexte du projet
Le projet d’exploitation de la mine de Gara Djebilet remonte à plusieurs décennies. La découverte de ce gisement date des années 1950, avec les premières études menées par le Bureau de recherche minière en Algérie (1953) et d’autres organismes jusqu’aux premières tentatives de développement expérimental avec Sonarem, après la nationalisation des mines, efforts interrompus en 1975.
En 1972, l’Algérie et le Maroc avaient signé une convention pour exploiter conjointement Gara Djebilet, mais ce projet a été abandonné en 1975 avec la question du Sahara occidental, rendant caduque la convention. Les appels internationaux d’intérêt lancés par Sonatrach depuis 2009 n’ont pas obtenu le succès escompté. Le dernier projet intégré de Gara Djebilet en 2005 prévoyait l’extraction et le transport du minerai, une usine sidérurgique proche d’un port pour l’export, et la création d’une cité minière.
2. Défis techniques et infrastructurels
La mine de Gara Djebilet, avec des réserves de 3,5 milliards de tonnes (dont 1,7 milliard exploitables), est divisée en trois zones d’exploitation : Gara Djebilet-Ouest, Centre et Est. Le projet nécessite une infrastructure adéquate en eau, en transport ferroviaire, et en énergie. Le complexe sidérurgique de Béchar, un projet d’un milliard de dollars mené par le consortium chinois CMH en partenariat avec FERAAL, vise à produire des rails et des profilés en acier et à soutenir le transport du minerai de fer vers les sites de transformation au nord. Une intégration de l’énergie renouvelable, via le photovoltaïque, est également prévue, ainsi que des camions électriques pour réduire les coûts de transport. L’infrastructure ferroviaire reliant Béchar à Tindouf, prévue pour 2026-2027, est cruciale pour acheminer le minerai vers les complexes industriels du nord du pays. La réduction du coût de transport est essentielle pour la rentabilité du projet, tout comme la résolution des défis liés aux niveaux élevés de phosphore et d’arsenic dans le minerai, visant à réduire le phosphore de 0,8 % à 0,03 %.
3. Rentabilité du projet
La rentabilité de la mine de Gara Djebilet dépend des cours mondiaux du fer brut, des coûts d’exploitation, du transport, des coûts environnementaux, et des bénéfices partagés avec les partenaires étrangers selon la règle des 49/51 %. En novembre 2024, le cours de la tonne de fer brut est de 100 euros. En phase initiale, la production annuelle est estimée entre 2 et 3 millions de tonnes jusqu’en 2025, puis pourrait atteindre 40 à 50 millions de tonnes d’ici 2026. En supposant un cours de 130 dollars la tonne, un chiffre d’affaires de 3,9 milliards de dollars serait généré pour 30 millions de tonnes, avec un profit net de 995 millions de dollars pour l’Algérie, après déduction des coûts et partage avec les partenaires. Selon le ministre des Mines, le projet nécessitera entre 12 et 15 milliards de dollars d’investissement, avec un retour sur investissement prévu entre 2029 et 2030.
Conclusion
Ce projet, qui représente un espoir pour l’économie algérienne depuis des décennies, est l’un des plus grands projets structurants, avec le potentiel de créer environ 15 000 emplois directs sur un effectif total de 20 000 travailleurs. Bien que la mine de Gara Djebilet ne soit pas une source de rente comparable aux hydrocarbures, elle pourrait offrir un profit moyen et contribuer à l’intégration de l’économie algérienne. Pour maximiser sa valeur ajoutée, une production en aval d’aciers spéciaux sera nécessaire, impliquant des investissements massifs et une formation avancée. Un partenariat gagnant-gagnant avec des leaders mondiaux de la sidérurgie sera essentiel pour garantir le succès et l’intégration de ce projet dans l’économie nationale.