La tentative de coup d’État manquée du 7 décembre a offert une fenêtre sur la résilience de l’appareil d’État béninois. Loin de révéler une fragilité institutionnelle, l’épisode a mis en lumière un pays ancré dans de solides traditions républicaines, mais aussi le résultat d’un effort de modernisation engagé depuis 2016, avec une montée en puissance budgétaire, un recrutement accru et un renouvellement des capacités pour faire face aux nouvelles menaces.
La stabilité du Bénin est souvent reconnue, mais cette mise à l’épreuve en a confirmé les ressorts profonds. Ce qui en est ressorti, ce n’est ni l’incertitude ni la dérive institutionnelle, mais une réponse coordonnée, où autorités civiles, haute hiérarchie militaire et unités opérationnelles ont agi d’un seul bloc pour défendre la République. Cette cohésion ne s’est pas limitée aux déclarations officielles. Elle s’est traduite dans la prise de décision, la préparation opérationnelle et un message sans ambiguïté : l’autorité constitutionnelle n’était ni contestée ni négociable. Les institutions ont fonctionné, les forces armées aussi. La crise a été rapidement jugulée parce que les fondations de l’État ont tenu bon.
Une armée républicaine au cœur de la réponse
L’un des enseignements les plus marquants de cet épisode tient à la posture adoptée par les Forces armées béninoises. Les mutins ont agi dans l’espoir qu’une hésitation ou une fragmentation au sein de l’institution militaire leur ouvrirait un espace de manœuvre politique. Ils se sont heurtés à l’exact opposé : une institution qui n’a ni vacillé, ni éclaté, ni dévié de son mandat.
Dès le début, la chaîne de commandement est restée intacte. Les unités sont demeurées alignées sur leur hiérarchie et aucun segment crédible des différentes forces n’a exprimé de sympathie pour la tentative de renversement. Au contraire, elles ont rapidement agi, parfois de manière spontanée, pour venir en soutien aux institutions.
Cela reflète un ethos profondément ancré. Depuis des décennies, l’armée a intériorisé une identité républicaine dans laquelle les ambitions politiques sont exclues de son périmètre, et où l’ordre constitutionnel est considéré comme le socle non négociable de la stabilité nationale.
Une illustration structurelle de ce choix réside dans l’option assumée par le Bénin d’avoir une garde républicaine plutôt qu’une garde présidentielle. La distinction n’a rien de sémantique : elle signale que les forces armées sont organisées autour de la défense des institutions de la République, et non de la protection d’un individu. Ce choix a façonné la culture du commandement, renforcé la neutralité et réduit le risque de dynamiques de pouvoir personnalisées au sein de l’appareil militaire.
Cette culture, consolidée par les réformes de la défense engagées depuis 2016, qu’il s’agisse de la lutte contre la corruption, de la dépolitisation ou de la professionnalisation accrue des cadres, a rythmé la gestion de la crise. En refusant d’envisager toute forme d’intervention politique, les forces armées ont retiré aux mutins leur seul levier plausible et empêché la situation de prendre de l’ampleur ou de basculer dans l’ambiguïté.
Une maîtrise opérationnelle qui est restée pleinement nationale
Au-delà de la loyauté institutionnelle, les forces armées ont démontré un niveau de cohérence opérationnelle décisif. Une fois alertées, les unités restées fidèles ont sécurisé les points stratégiques, repris le contrôle de l’audiovisuel public et neutralisé le groupe à l’origine de la tentative de déstabilisation de l’État. Le tout a été conduit via les structures nationales de commandement, avec des ordres transmis et exécutés de manière disciplinée et coordonnée.
Cette réactivité s’inscrit dans un effort de modernisation entamé il y a plusieurs années, avec un plan d’équipement qui a permis d’augmenter nettement le taux de réalisation des matériels automobiles, les acquisitions de véhicules tactiques, de blindés, de moyens de surveillance, de vecteurs aériens et d’engins flottants, ainsi que le renforcement du maillage territorial et la création d’unités d’intervention dédiées à la lutte contre le terrorisme au nord.
Les partenaires étrangers ont bien apporté un soutien à la marge, qu’il s’agisse de surveillance, d’observation ou de logistique, mais seulement une fois la phase décisive de la crise déjà derrière le pays. Alors que l’armée béninoise aurait pu écraser les mutins dès le milieu d’après-midi, il a été décidé, en concertation avec ces partenaires, d’intervenir plus tard dans la journée afin de réduire au maximum les dommages collatéraux, finalement au nombre de zéro.
Ce choix témoigne d’une véritable éthique de l’engagement : l’armée n’a pas opté pour le bombardement des fuyards, se conformant au droit international et au principe de ne pas tirer sur des hommes en fuite et désarmés.
Le rôle des partenaires n’a pas éclipsé le fait central : le cœur de la réponse était béninois, conçu et mis en œuvre par des forces nationales qui ont gardé la maîtrise de chaque décision critique. Les situations de crise révèlent souvent où se situe réellement l’autorité. En l’occurrence, elle résidait dans les institutions béninoises, qui n’ont ni cédé l’initiative opérationnelle ni dépendu d’acteurs externes pour stabiliser la situation.
La dimension humaine : des soldats au service du devoir constitutionnel
Les institutions fonctionnent à travers des femmes et des hommes, et le coup d’État avorté l’a rappelé avec une clarté peu commune. Plusieurs officiers sont désormais mieux connus du grand public, à l’image du colonel Dieudonné Simon, de la Garde républicaine, mais c’est l’ensemble des soldats qu’il faut saluer pour leur engagement en faveur de la défense de la démocratie béninoise.
Officiers et soldats se sont exposés pour protéger les infrastructures, sécuriser des collègues pris par les mutins et empêcher une escalade de la violence. Leurs actes ont été guidés par un sens partagé du devoir plutôt que par des allégeances de faction.
Ce type de conduite est souvent négligé dans l’analyse des systèmes politiques, alors qu’il donne précisément leur traduction concrète aux cadres constitutionnels. Dans ce cas, les décisions prises sur le terrain se sont appuyées sur des capacités patiemment renforcées depuis près d’une décennie et ont contribué directement au rétablissement rapide de l’ordre et à la protection de la démocratie.

