Entre mines d’or artisanales, exploitation illégale des forêts et pratiques agricoles intensives dans certaines localités de l’Est du Cameroun, la population voit les paysages disparaître à grande vitesse. Reportage à Kambele et Kette
Bernard Bangda, de retour de Kambele et de Ketté
Kambele, à 7 km de Batouri sur la route de Yokadouma, frontière Cameroun-Congo. Ce matin du 24 novembre 2025, le bruit des pioches se mêle à celui des moteurs de pompes aspirant l’eau des rivières. Laissant des trous sur des hectares à perte de vue. Tout autour, de jeunes gens, femmes et hommes de tous âges, s’activent sur les sites, impuissants, mais conscients, face à la gravité de l’impact de l’orpaillage « sauvage » sur l’environnement, notamment sur le climat.
Ici, l’orpaillage artisanal, pourtant discret en apparence, étend progressivement ses ravages sur les écosystèmes fragiles de cette partie de la région de l’Est. « Cette activité bouleverse à la fois l’équilibre climatique et le quotidien des habitants. Entre abattages massifs d’arbres, cours d’eau détournés ou asséchés et sols durablement épuisés, les communautés de Kambele assistent, impuissantes, aux conséquences d’une activité qui rime désormais avec destruction », accuse Alexandrin Yawoui, le président de la coopérative des artisans miniers de la Kadéy.
Dans les rues poussiéreuses de Ketté, à une soixantaine de kilomètres de Batouri, chef-lieu du département de la Kadéy, l’horizon est de plus en plus déserté par les forêts. « Quand je suis arrivée ici il y a quelques années, il y avait des arbres partout, des rivières pleines d’eau claire. Aujourd’hui, tout ça a disparu », déplore Irène Ndokoua, une cultivatrice de 54 ans, les yeux fixés sur l’étendue qui, jadis, était sa terre agricole. Elle observe en silence les jeunes hommes et femmes qui s’activent autour des fosses creusées par les orpailleurs, un nouveau paysage qui envahit peu à peu la région.
La forêt qui jadis la nourrissait a [presque] disparu sous les coups de pelle. La terre qui nourrissait ses cultures (manioc, plantains, ignames) est devenue stérile, victime de l’orpaillage qui étend ses tentacules sur des hectares. « Les orpailleurs arrivent, retournent la terre, et tout devient dur, compact. C’est comme si la terre avait perdu son âme », ajoute-t-elle, un souffle de frustration dans la voix.
Les témoignages se multiplient : les anciens terrains agricoles, autrefois luxuriants, sont désormais envahis par des camps miniers tenus aussi bien par des orpailleurs camerounais, tchadiens, maliens que burkinabè. A la recherche de quelques grammes d’or, ils détruisent tout sur leur passage. « Avant, on cultivait bien. Aujourd’hui, même les plantes qui poussent ne tiennent pas », soupire Benoît Ndanga, un cultivateur de Ketté. Son visage est marqué par des années de travail de la terre, mais il sait que le sol sous ses pieds n’est plus ce qu’il était.
La déforestation accélérée, causée en partie par la recherche des minerais, perturbe l’équilibre climatique local. Les arbres, qui jouaient un rôle clé dans la régulation de l’humidité et des températures, disparaissent, et les sols, fragilisés, sont désormais plus vulnérables à l’érosion.
Climat perturbé, lente agonie
« Dans les chantiers de l’Est, l’exploitation minière devient un véritable fléau pour l’environnement lorsqu’elle est réalisée sans respecter les normes », explique l’expert en gouvernance minière et environnementale Marc Anselme Kamga. Dans son récit, il confie que « cela entraîne une dégradation profonde et souvent irréversible des écosystèmes, tout en contribuant directement au réchauffement climatique ».
Pour commencer, soutient l’expert, « l’ouverture des mines entraîne une déforestation massive, ce qui réduit la capacité des forêts à absorber le dioxyde de Carbone (CO₂) et libère d’importantes quantités de carbone stocké dans les sols ». De plus, explique Marc Anselme Kamga, « les activités minières, comme l’extraction, le dynamitage, le transport du minerai et le traitement chimique, consomment énormément d’énergie et dépendent encore largement des sources fossiles ». Ce qui, ajoute-t-il « augmente les émissions de gaz à effet de serre ».
En outre, « la perturbation des sols, des cours d’eau et des zones humides réduit les puits de carbone naturel et provoque une érosion accrue. La surconsommation d’eau et la pollution chimique, avec des métaux lourds, des résidus toxiques et du drainage acide, dégradent durablement les ressources en eau et mettent en danger la santé des populations ».
Enfin, conclut l’expert en gouvernance minière, « la pression croissante due à la demande mondiale en minerais, associée à l’expansion de l’exploitation artisanale souvent illégale, aggrave encore la dégradation environnementale, les émissions de gaz à effet de serre et la vulnérabilité climatique des territoires ».
Dans des zones minières comme à l’Est du Cameroun, les activités d’orpaillage clandestin produisent des émissions de gaz à effet de serre qui sont souvent largement sous-estimées. Et du coup, beaucoup peine à voir comment cela peut contribuer au changement climatique.
Or, fait savoir notre interlocuteur, « le brûlis utilisé pour nettoyer les sites détruit la couverture végétale, libérant ainsi instantanément le carbone stocké dans la biomasse et les sols, tout en éliminant un puits naturel important de CO₂. Ensuite, la combustion incontrôlée du carburant dans les motopompes, dragues et groupes électrogènes génère du CO₂, du méthane (CH₄), du protoxyde d’azote (N₂O) et des particules fines ». Ces équipements, note-t-on, sont souvent anciens, mal entretenus et donc plus polluants.
Bien plus, de l’avis des experts du ministère camerounais de l’Environnement, « le remaniement intensif des sols et le rejet massif de sédiments dans les rivières accélèrent l’érosion et la décomposition de la matière organique, ce qui libère non seulement du gaz carbonique (CO₂) mais aussi du méthane dans des environnements anaérobies, notamment dans les lits de rivières colmatés ».
Enfin, Marc Anselme Kamga fait savoir que « la destruction des zones humides et des berges lors du dragage artisanal perturbe des écosystèmes qui jouent un rôle crucial dans la séquestration du carbone ». « Ainsi, même si ces émissions ne figurent pas dans les inventaires officiels, l’orpaillage clandestin contribue de manière significative aux gaz à effet de serre et renforce la vulnérabilité climatique des territoires touchés », conclut M. Kamga.
« Il y a lieu de craindre une réelle menace pour l’écosystème »
Ces observations de terrain sont confirmées par les études climatiques menées par l’Observatoire national pour les changements climatiques (ONACC), qui montrent une augmentation des températures moyennes, une diminution des précipitations et une perturbation des saisons.
D’après le profil climatique de la région de l’Est du Cameroun, sur la période 2015 à 2019, le bilan climatique pour l’année 2021 et les bulletins saisonniers de 2017 à 2025 révèlent, selon le Professeur Joseph Armathé Amougou, directeur général (DG) de l’ONACC, « une tendance à l’augmentation des températures moyennes dans les différentes localités de la région. Une tendance à la diminution des quantités de précipitations ; la perturbation de la distribution spatiale et temporelle des quantités de précipitations en terme de volume, de nombre de jours des pluies, de dates de démarrage et de fin des saisons ».
Toutes ces perturbations climatiques impactent considérablement, d’après ce responsable, sur la production agricole et sur la sécurité alimentaire des populations, dont l’essentiel des revenus est tiré des activités agricoles. Aucune agriculture d’après lui, ne devrait désormais se faire sans la prise en compte des changements climatiques.
Une situation que déplore Jean Joël Serge Moneye, le délégué départemental des Forêts et de la Faune de la Kadéy : « Les forêts tropicales, en plus de stocker le carbone, régulent l’humidité locale et stabilisent les cycles de pluie. En détruisant ces forêts, les orpailleurs contribuent à la modification des régimes de précipitations, ce qui a un impact direct sur l’agriculture et l’approvisionnement en eau. » Pour lui, « même si le phénomène n’a pas encore pris une ampleur effrayante, au vu des plaintes des gestionnaires des forêts locales, il y a lieu de craindre une réelle menace tant sur ces espaces titrés que sur la faune qui y vit ».
Les agriculteurs locaux, sans connaissances scientifiques, observent seulement la réalité. Impuissants ! Comme Mama Odette Doko, une femme de 62 ans à Ketté : « Les pluies arrivent trop tard. Et quand elles tombent, elles sont fortes, trop fortes. Ça lave nos champs et emporte la terre. » Elle a vu ses champs de maïs se dérober « sous l’effet de l’érosion exacerbée par les orages de plus en plus violents ».
« 270.000 hectares de forêts humides perdues »
En dépit de l’arsenal juridique dont dispose le Cameroun, les crimes environnementaux liés à l’orpaillage clandestin et l’exploitation forestière illégale persistent. D’après l’analyse de Justin Kamga, coordonnateur de l’ong Forêt et Développement Rural (Foder), « Ceux qui sont à la manœuvre des activités d’orpaillage exploitent des failles du système pour pouvoir rendre l’activité prospère. Le faible contrôle de l’administration sur le terrain est aussi pour beaucoup » regrette ce coordonnateur dont l’ONG suit depuis longtemps, l’évolution de l’activité minière à l’Est du Cameroun. Il pense que l’administration manque suffisamment de moyens techniques pour pouvoir couvrir des zones où il y a exploitation illégale.
Dans un rapport sur « La cartographie des sites miniers et impacts de l’exploitation minière sur le couvert végétal et la conversion des terres agricoles de la région de l’Est Cameroun cas de : Batouri, Ketté et Kenzou », publié par Foder en avril 2025, « l’exploitation minière a explosé de 5.000% en 14 ans dans ces trois localités, faisant passer la superficie totale des sites miniers d’environ 82,48 hectares en 2010 à 4639,69 hectares en 2024 ».
Considérée comme l’un des poumons verts de la planète, la région de l’Est du Cameroun abrite près de 10 millions d’hectares de forêts. Selon les estimations de Global Forest Watch, entre 2001 et 2024, cette région a perdu environ 270 000 hectares de forêts primaires humides. Soit près de 54% de la perte totale du couvert arboré enregistrée au cours des deux dernières décennies.
Pour Justin Kamga, de l’organisation Foder, « redonner une chance à la nature passe inéluctablement par une lutte ferme contre les crimes environnementaux ». De son point de vue, « la première étape consisterait pour les États à rendre publics les décrets d’application des lois déjà existantes ». Il appelle également à « cesser d’attribuer des titres, aussi bien dans le secteur minier qu’artisanal », et plaide « pour la tenue d’États généraux du secteur minier au Cameroun afin de déterminer clairement qui fait quoi et qui opère où ». L’expert propose enfin « la mise en place d’un mécanisme de suivi et de contrôle des activités minières et forestières dans la zone de l’Est du Cameroun. »

