Dans la nouvelle édition de L’État de l’Afrique 2025, le géopolitiste camerounais Maurice Simo Djom signe une analyse dense et lucide de ce qu’il appelle « l’impasse géopolitique algérienne ». Selon lui, l’Algérie, puissance régionale souveraine, peine à faire comprendre aux opinions subsahariennes son positionnement, au moment où émergent des projets de ré-étatisation d’une Afrique saharienne encore en quête de souveraineté.
Comme en 2024, cette revue annuelle de 367 pages s’impose comme un rendez-vous intellectuel. Elle ne s’organise pas en chapitres, mais en tendances regroupées par dimensions, chacune proposant une lecture du présent et une projection dans l’avenir. La deuxième tendance, intitulée « L’Algérie peine à réconcilier souverainisme et projection de puissance en Afrique », retrace un demi-siècle de grandeur et de retrait : de la guerre de libération à la guerre civile, du panafricanisme militant au repli national.
Le point de départ de cette réflexion est la bataille de Tinzaouatène, en juillet 2024, événement devenu catalyseur d’un procès d’intention contre Alger sur les réseaux sociaux. Tandis que les plus virulents accusent l’Algérie de soutenir les sécessionnistes de l’Azawad, Simo Djom choisit le recul et pose deux questions structurantes :
« Pourquoi Alger pousse-t-elle Bamako à négocier avec des groupes que Paris a instrumentalisés ? Et pourquoi s’irrite-t-elle de la présence russe ou turque au Sahel, alors qu’elle n’y exerce plus son influence régionale ? »
Du phare panafricain au repli stratégique
Pour y répondre, l’auteur remonte le fil du repli algérien. Il rappelle que le pays fut autrefois primus inter pares en Afrique : soutien aux combattants de l’ANC, accueil du siège des Black Panthers, organisation du Sommet des non-alignés de 1973 et du Festival panafricain d’Alger, appui à la cause palestinienne… Dans ce rôle de phare continental, Alger incarnait un panafricanisme de combat.
Mais l’équilibre s’est inversé. Le Mali, autrefois allié du FLN, est devenu refuge des trafiquants et groupes armés issus de la décennie noire. Pour Simo Djom, cette inversion des rapports illustre le basculement d’une Algérie forte profitant de la faiblesse de son voisin.
Quatre causes d’un repli
L’auteur identifie quatre facteurs explicatifs.
Le premier est le traumatisme de la décennie noire : 200 000 morts, deux millions de déplacés, un tissu industriel détruit aux trois quarts. Ce drame a conduit Alger à se refermer pour se reconstruire.
Le deuxième tient à l’obsolescence des causes collectives : la fraternité de la décolonisation a cédé la place à des destins nationaux divergents et à une Afrique fragmentée.
Troisième facteur : l’inaboutissement des luttes subsahariennes. Là où l’Algérie a vaincu le colonialisme et l’islamisme, nombre de pays africains demeurent prisonniers d’un ordre néocolonial. Comment, dès lors, entretenir une solidarité panafricaine avec des États qui combattent l’idéal qu’ils proclament ?
Enfin, quatrième facteur : l’émergence d’un nouveau paradigme international. Dans les années 1990, la lutte contre l’islamisme radical est devenue la priorité absolue d’Alger, reléguant au second plan son engagement africain. Entre le panafricanisme et la sécurité intérieure, le choix fut vite fait.
Le « décrochage algérien » comme miroir du panafricanisme
Au fil de son analyse, Simo Djom montre que ce « décrochage » révèle en creux les limites du panafricanisme contemporain. L’Algérie, puissance morale et idéologique des années 1970, affiche aujourd’hui une faible projection économique vers le Sud et un désintérêt pour l’intégration continentale. Son ancrage croissant dans le monde arabo-islamique traduit ce recentrage identitaire.
L’auteur pose enfin la question cruciale des variables du panafricanisme – géographiques, linguistiques, économiques et géostratégiques – et illustre leur tension à travers la rivalité Algérie-Maroc : deux nations si proches par la langue, la religion et la culture, mais paralysées par leurs divergences géostratégiques, au point de bloquer l’Union du Maghreb arabe.
Une revue de la nuance et du recul
Avec L’État de l’Afrique 2025, Maurice Simo Djom signe une œuvre d’érudition patiente, à rebours des jugements impulsifs. Chacune des 23 tendances du volume se déploie dans le même esprit : recherche de la nuance, rigueur de l’analyse, souci de replacer l’Afrique dans la longue durée. Ce travail confirme la vocation de la revue : être une boussole intellectuelle au milieu du tumulte des passions géopolitiques.