Carrefour stratégique entre le Sahel et l’Atlantique, la Mauritanie occupe une position singulière dans la géopolitique migratoire ouest-africaine : terre d’accueil pour des dizaines de milliers de réfugiés maliens, zone de transit pour les migrants subsahariens en route vers l’Europe, mais aussi partenaire clé dans la coopération sécuritaire euro-africaine.
En 2023, environ 55 000 personnes ont franchi la frontière depuis le Mali, fuyant les violences dans les régions de Gao, Tombouctou et Ménaka. Parmi elles, 14 000 réfugiés ont été installés dans le camp de M’bera, tandis que 41 000 autres ont rejoint de manière “spontanée” les communautés d’accueil, selon le HCR. Ce camp, désormais peuplé de plus de 150 000 réfugiés maliens, constitue l’un des plus vastes sites humanitaires du Sahel, symbole à la fois de solidarité régionale et de résilience mauritanienne.
Le HCR estime qu’entre début 2023 et avril 2024, environ 95 000 nouveaux réfugiés sont arrivés, s’ajoutant aux 105 000 déjà présents. Ces flux, combinés aux pressions climatiques et économiques, n’ont pas altéré la politique d’accueil de Nouakchott, saluée par plusieurs agences onusiennes pour sa stabilité et son humanité dans un environnement régional sous tension.
Sur le plan sécuritaire, les autorités mauritaniennes affirment avoir intercepté 30 000 migrants en situation irrégulière entre janvier et avril 2025 et démantelé 80 réseaux de trafic d’êtres humains. Nouakchott insiste sur le fait que ces opérations sont menées dans le strict respect de la législation nationale et des conventions internationales ratifiées, notamment la Convention de Genève de 1951.
« Notre objectif n’est pas de réprimer, mais de protéger », souligne un haut responsable du ministère de l’Intérieur. « Nous faisons face à des réseaux criminels qui exploitent la détresse humaine. Les retours vers les pays d’origine se font dans le cadre d’accords bilatéraux, avec le concours de l’OIM et du HCR. »
Ces déclarations répondent aux critiques formulées par certaines ONG internationales, dont Human Rights Watch et Amnesty International, qui dénoncent des expulsions massives de migrants subsahariens vers le Sénégal et le Mali, parfois dans des zones désertiques. Nouakchott rejette ces accusations, les qualifiant d’« inexactes et disproportionnées », rappelant que le pays ne dispose pas de capacités d’accueil illimitées et qu’il assume déjà, à ses frais, plus de 200 000 réfugiés et migrants réguliers sur son territoire.
Le gouvernement mauritanien insiste aussi sur le caractère équilibré de son partenariat avec l’Union européenne, estimé à 210 millions d’euros, précisant qu’il ne s’agit pas d’une « externalisation des frontières » mais d’un soutien logistique et humanitaire destiné à sauver des vies et à encadrer les flux.
« Nous refusons d’être réduits à un simple rempart migratoire. La Mauritanie fait sa part pour la stabilité régionale », a déclaré récemment le ministre des Affaires étrangères lors d’une conférence à Nouakchott.
Malgré ces efforts, la route de l’Atlantique demeure l’une des plus meurtrières du monde. Depuis le début de 2025, plus de 100 corps de migrants ont été repêchés au large des côtes mauritaniennes, contre plus de 500 en 2024, selon les chiffres officiels. Ces drames rappellent la complexité d’un défi permanent : endiguer les départs illégaux sans criminaliser la mobilité, dans un contexte où la migration reste un pilier social et économique pour des millions d’Africains.