Signée en 2018 à Kigali et entrée en vigueur le 1er janvier 2021, la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) devait donner naissance au plus grand marché commun du monde. Quatre ans plus tard, entre retards, barrières persistantes et réveil des nationalismes, son avenir interroge. « La ZLECA face au réveil des nationalismes » est au cœur du Grand Débat de Financial Afrik, avec le Dr Mohamed Hamidouch, banquier du développement et ancien haut cadre de la Banque africaine de développement (BAD), Rivo Ratsimandresy, CEO de la Rencontre des Entrepreneurs (RDE), et Adama Wade, directeur de publication de Financial Afrik, sous la modération d’Amadjiguène Ndoye.
Des avancées institutionnelles, mais un impact limité
Certes, la majorité des pays africains a ratifié l’accord, un secrétariat permanent a été installé et plusieurs initiatives de sensibilisation ont été organisées à travers le continent. Cependant, comme le souligne le Dr Hamidouch, « la rue africaine ne sent pas encore la ZLECA ». Autrement dit, en dehors des grands salons et rencontres diplomatiques, l’impact de cette initiative reste difficilement perceptible dans la vie économique quotidienne.
Pour mieux mesurer son efficacité, le Dr Hamidouch insiste sur la nécessité de mettre en place de véritables indicateurs de performance. Il s’agit notamment d’évaluer la part des échanges intra-africains dans le commerce total, de suivre le volume du commerce transfrontalier, d’apprécier l’état d’ouverture des lignes tarifaires et d’analyser la performance des systèmes douaniers. Il convient également de suivre le déploiement du système panafricain de paiement (PAPSS), de mesurer l’évolution des services et des investissements et, surtout, d’intégrer davantage les petites et moyennes entreprises dans les chaînes de valeur régionales.
Le poids du commerce informel et les freins persistants
Un élément crucial reste souvent négligé : le commerce transfrontalier informel. Ce dernier représenterait un volume bien supérieur aux statistiques officielles, qui situent les échanges intra-africains entre 12 et 20 %. En réalité, ces flux informels atteignent des montants considérables. À titre d’exemple, on estime à 2,5 milliards de dollars les échanges annuels entre le Maroc et la Mauritanie sur les produits agricoles, à 1 à 2 milliards de dollars ceux entre la Tunisie et la Libye sur le carburant et les denrées alimentaires, et à 15 milliards de dollars les flux enregistrés sur le corridor Abidjan–Accra. De même, les échanges entre Kinshasa et Brazzaville représentent environ 2,5 milliards de dollars, tandis que la zone frontalière entre le Nigeria, le Cameroun, le Niger et le Tchad totalise quelque 3,5 milliards de dollars.
Ainsi, l’intégration commerciale africaine existe déjà, mais elle se développe en marge des circuits officiels. Cette réalité révèle les limites du processus en cours. Car au-delà de la volonté politique affichée, plusieurs obstacles freinent la concrétisation de la ZLECA. Les nationalismes économiques persistent et incitent certains pays à protéger leurs marchés intérieurs. Les barrières non tarifaires demeurent nombreuses, notamment la complexité douanière, la lenteur bureaucratique et l’absence d’harmonisation. De plus, la dépendance commerciale à l’égard de l’extérieur reste forte, la majorité des échanges africains se faisant encore avec l’Europe, l’Asie ou l’Amérique, héritage direct des structures économiques post-coloniales.
En définitive, la ZLECAf demeure une ambition majeure pour transformer le commerce africain et favoriser l’intégration du continent. Toutefois, quatre ans après son lancement, l’écart entre la vision politique et la réalité économique reste important. Pour éviter que le projet ne se réduise à un simple slogan, il devient indispensable de combler les retards accumulés, de renforcer l’implication des PME et de reconnaître le rôle central du commerce informel, véritable poumon des échanges en Afrique.