La journée du 1er septembre 2025 restera marquée d’une empreinte particulière dans l’histoire de la Banque Africaine de Développement (BAD). Lors d’une solennelle cérémonie de prestation de serment, riche en émotion, le nouveau président Sidi Ould Tah a rendu hommage aux deux chefs d’État présents – le président de la République de Côte d’Ivoire et le président de la République Islamique de Mauritanie – avant de féliciter ses prédécesseurs, Donald Kaberuka et Akinwumi Adesina, deux figures qui ont marqué les vingt dernières années de l’institution. Passée l’effervescence de cette journée, une nouvelle ère s’ouvre désormais, faite de défis immenses et de réformes urgentes.
Restaurer la confiance du personnel et l’efficacité opérationnelle
Dans son allocution d’investiture, Sidi Ould Tah a insisté sur l’importance du capital humain de la Banque, « la ressource la plus précieuse ». Depuis la pandémie de Covid-19 et le recours massif au travail à distance, une atmosphère de démotivation et une bureaucratie paralysante ont affaibli la dynamique interne. La multiplication des directions centrales et régionales, ainsi que des postes de vice-présidents et de « représentants spéciaux », a fini par complexifier l’organigramme sans améliorer l’efficacité.
Il en résulte une « armée mexicaine » : trop de généraux, trop de structures parallèles, mais un corps de soldats démoralisés. Le recours accru aux consultants extérieurs n’a pas permis de restaurer la cadence des projets, tandis que les lourdeurs dans les procédures d’approbation et de décaissement ont fortement réduit l’impact opérationnel.
La première tâche du nouveau président sera donc une optimisation des effectifs et une réorganisation profonde des modes opératoires, avec un objectif clair : bâtir une Banque plus agile, plus opérationnelle, capable de répondre rapidement aux besoins de ses pays membres.
Reconstituer le Fonds Africain de Développement et mobiliser les ressources
Le deuxième chantier crucial sera la reconstitution du Fonds Africain de Développement (FAD), prévue dès octobre prochain. Les partenaires les plus décisifs de la Banque, refroidis au cours du deuxième mandat d’Adesina, se sont tenus à distance, fragilisant la mobilisation des ressources.
Sidi Ould Tah devra rassurer, rétablir la confiance et convaincre les bailleurs stratégiques, en particulier les États-Unis, de libérer leurs engagements. Malgré l’annonce du gel de leur contribution au FAD, Washington ne peut se permettre de céder son rang de premier actionnaire non régional, alors que la Chine, le Brésil ou encore l’Arabie Saoudite progressent rapidement. Le compromis reste donc possible.
Parallèlement, il faudra engager un dialogue stratégique avec les actionnaires pour transformer les souscriptions annoncées en capital effectivement libéré, et élargir la base de l’actionnariat à de grands pays africains et émergents, tout en préservant la voix des petits États.
Stabiliser le siège de la Banque
La question du siège constitue un autre dossier sensible. L’immeuble historique d’Abidjan, rénové à grands frais, est inutilisable à cause de l’amiante. L’immeuble de la CCIA, mis à disposition par l’État ivoirien, engendre désormais des coûts élevés. Le projet pharaonique d’un nouveau siège de 700 millions de dollars ayant été en partie recalé, le nouveau président devra trouver une solution pragmatique et durable. Il en va de l’image et de la stabilité d’une institution de premier plan sur le continent.
Relancer l’impact : infrastructures, secteur privé, création d’emplois pour la jeunesse et l’appui aux PME
La vocation de toute institution financière est le financement. Or, l’expérience des dernières années a montré les limites de la stratégie des « High Five », qui, en voulant embrasser plusieurs fronts à la fois, a dilué l’impact. La BAD doit se recentrer sur des priorités claires et mesurables.
Il est urgent de rehausser le niveau annuel de financement, en dépassant les 5 milliards de dollars actuels de décaissement. Cela passe par une accélération drastique des processus d’analyse des projets et l’appui aux pays . Les bénéficiaires ne peuvent plus attendre des années avant de voir se concrétiser des projets vitaux.
Par ailleurs, la BAD doit revenir dare-dare dans le financement des infrastructures de base, mais aussi jouer un rôle moteur dans le soutien au secteur privé et à l’entrepreneuriat, avec un accent particulier sur :
. La création massive d’emplois pour la jeunesse,
. Le financement des petites et moyennes entreprises, véritables moteurs de croissance et d’industrialisation,
. Une combinaison innovante de financements classiques, climatiques, ESG et éthiques (finance islamique incluse).
Comme le nouveau Président l’a rappelé dans son discours : » L’Afrique nous regarde ; la jeunesse nous attend ; le temps est à l’action « !
C’est à ce prix que la BAD pourra contribuer à transformer la démographie africaine en une véritable dynamique économique.
Construire une nouvelle architecture financière africaine
Au-delà des réformes internes, l’avenir de la BAD réside dans sa capacité à s’inscrire dans une nouvelle architecture financière africaine. L’institution doit redevenir l’acteur de référence du financement du continent, non pas seule, mais en partenariat avec ses partenaires et les institutions spécialisées : Africa50, Afreximbank, BADEA, BOAD, BIDC, Africa Guarantee Fund, ATIDI, la Banque mondiale, IFC, et d’autres.
Il ne s’agit plus de solliciter en permanence les actionnaires au portefeuille, mais d’optimiser le capital disponible, en recourant aux effets de levier, aux garanties, aux assurances, et en travaillant étroitement avec les banques commerciales, dont la lecture des risques locaux est plus fine.
De plus, la BAD doit devenir un acteur proactif dans le développement des marchés financiers africains. Au lieu de cantonner ses placements à une gestion de trésorerie prudente, orientée vers des instruments à faible risque des pays du Nord, l’institution doit contribuer à animer les Bourses africaines, stimuler les financements verts et ESG, et créer une véritable BAD Gestion Active.
Comme l’a affirmé Sidi Ould Tah durant sa campagne, chaque dollar de capital peut être transformé en dix dollars de financement grâce à des effets de levier intelligents. Cette ambition doit devenir réalité.
Un cap pour les 100 premiers jours
Les cent premiers jours seront déterminants. Ils seront sans doute consacrés à écouter, consulter, recevoir des rapports, bâtir une équipe solide et corriger progressivement sa vision des « quatre points cardinaux ». Mais, face à l’immensité des chantiers, la méthode devra être claire :
. Instaurer une gouvernance fondée sur la méritocratie ;
. Réduire les déplacements au strict minimum, le temps de restaurer la confiance interne ;
. Fixer un cap stratégique et déléguer efficacement, à la manière d’un général qui guide et confie les tranchées à ses officiers.
La BAD n’a pas besoin d’un président omniprésent mais d’un chef capable de tracer une vision, de construire des coalitions, et de restaurer une culture de performance au service de l’Afrique.