À l’heure où la digitalisation redessine les chaînes logistiques, les ports africains s’imposent comme des infrastructures stratégiques, mais aussi comme des points de fragilité majeurs. Selon le Global Cybersecurity Outlook 2025 du Forum économique mondial, 74 % des dirigeants dans les secteurs sensibles tels que l’énergie, le transport ou la logistique anticipent une cyberattaque majeure d’ici deux ans. Plus alarmant encore : 41 % d’entre eux estiment ne pas disposer des moyens suffisants pour y faire face.
Sur un continent où les systèmes numériques se déploient à grande vitesse, souvent sans cadre de cybersécurité solide, cette exposition croît dangereusement. Dès 2022, l’Africa Cyber Defense Forum tirait la sonnette d’alarme : entre 2015 et 2020, les cyberattaques y ont bondi de 300 %. Aujourd’hui, les ports, véritables plaques tournantes du commerce africain, cristallisent les vulnérabilités.
Une étude d’Africa Defense Forum prévoit un triplement des attaques visant les infrastructures critiques africaines d’ici 2026, avec une intensité particulière sur les secteurs du transport et de la logistique. La menace, autrefois essentiellement physique, est désormais numérique, évolutive et difficile à détecter.
Les ports africains à la croisée des vulnérabilités
Sur les côtes de l’Afrique centrale et de l’Ouest, les ports se placent au cœur du développement économique. Cependant, leur importance stratégique croissante s’accompagne d’une complexification des risques : des intrusions sur les quais aux trafics occultes dans les conteneurs, en passant par des attaques numériques sophistiquées sur les systèmes logistiques. Pour contrer ces défis, les acteurs portuaires amorcent une transformation profonde de leurs dispositifs de sûreté, passant d’une simple réaction aux incidents à une stratégie proactive d’anticipation.
Au Cameroun, le Port autonome de Douala (PAD) illustre cette dynamique de modernisation. En tant que principal point d’entrée des marchandises à destination du Tchad et de la Centrafrique, le PAD revêt une importance logistique régionale majeure. Pour répondre aux nouveaux enjeux de sécurité, il déploie des outils numériques et repense ses protocoles de surveillance, avec l’ambition de renforcer la traçabilité des flux et le contrôle des accès.
D’autres ports africains suivent une trajectoire comparable. À Tema, au Ghana, la mise en place de systèmes automatisés de gestion des accès et de vidéosurveillance intelligente permet désormais une supervision en continu des mouvements sur les quais et dans les terminaux. Le recours à des dispositifs de contrôle biométrique pour les agents portuaires renforce la sécurité humaine en limitant les risques d’usurpation d’identité. À Cotonou, au Bénin, la centralisation des données de sûreté et la création d’un centre de commandement unifié marquent un tournant : la technologie y devient un levier de pilotage en temps réel, permettant une réaction rapide en cas d’incident.
Ces différentes initiatives, bien que portées localement, s’inscrivent dans une tendance plus large : celle d’une digitalisation raisonnée et structurante, au service de la sûreté portuaire africaine.
Cette logique préventive repose de plus en plus sur l’intégration de technologies connectées : caméras intelligentes capables de reconnaître des comportements suspects, capteurs IoT pour surveiller les accès, drones autonomes pour la ronde aérienne de zones isolées. Ces outils démultiplient la capacité d’observation et de réaction sur le terrain.
Capital humain et souveraineté technologique
Mais cette modernisation ne se résume pas à un simple empilement de solutions technologiques. Encore faut-il pouvoir les déployer, les gérer, les entretenir. C’est pourquoi plusieurs opérateurs choisissent d’associer innovation et formation. À Douala, par exemple, les récents chantiers de modernisation ont été accompagnés de programmes de montée en compétence à destination des équipes locales. L’un des projets les plus structurants en ce sens est la mise en œuvre de la phase 3 du Dispositif Portuaire de Sûreté (DPS), pilotée par la société de sécurité PortSec.
Des centaines d’agents ont été formés à l’utilisation d’outils de surveillance connectés, à la lecture de données, ou encore au pilotage de drones. Ce programme combine intégration technologique et accompagnement humain, pour garantir la maîtrise opérationnelle des dispositifs sur le long terme.
L’approche de certaines entreprises spécialisées dans la sûreté portuaire s’inscrit dans cette logique globale. PortSec, présente sur plusieurs sites stratégiques du continent, adopte une méthode articulée autour de trois axes : intégration technologique, transfert de savoir-faire et accompagnement opérationnel sur le terrain. L’entreprise collabore étroitement avec les autorités portuaires pour adapter ses solutions aux réalités locales et renforcer l’autonomie des opérateurs.
Cet effort de professionnalisation porte ses fruits. À mesure que les ports gagnent en maîtrise sur leurs dispositifs de sûreté, ils deviennent plus fiables aux yeux des compagnies maritimes et des chargeurs internationaux. Moins d’incidents, plus de fluidité, davantage de confiance. L’impact de cette modernisation dépasse donc le seul champ de la sécurité : il touche à la compétitivité même des hubs logistiques africains.
Dans un contexte mondial marqué par l’instabilité et la concurrence accrue entre corridors maritimes, disposer d’infrastructures sûres, bien équipées et pilotées localement devient un avantage stratégique. En conjuguant innovation technologique et capital humain, les ports africains s’ouvrent la voie d’une résilience durable et souveraine.