Dans un contexte de mutation des marchés financiers africains, le Dépositaire Central/ Banque de Règlement (DC/ BR) de l’UMOA s’affirme comme un pilier de la stabilité et de l’innovation. Entre digitalisation des souscriptions, réforme des délais de règlement et coopération régionale, l’institution modernise en profondeur les mécanismes de traitement et de sécurisation des transactions financières. Son Directeur Général, Birahim Diouf, nous présente les grandes évolutions en cours et la vision stratégique du DC/BR pour renforcer l’attractivité du marché régional.
Quel est le rôle du DC/BR dans l’écosystème du marché financier régional ?
Le DC/BR occupe une position centrale dans l’écosystème du marché financier régional de l’UMOA. En tant qu’infrastructure de marché à caractère systémique, il assure des missions de service public communautaire essentielles au bon fonctionnement et à la stabilité du marché boursier régional. Son rôle principal consiste à garantir la sécurité, la transparence et l’efficacité des opérations post- marché. Concrètement, il codifie les valeurs mobilières selon la norme internationale ISO- 6166, centralise la conservation des titres dématérialisés, et permet leur inscription en compte, facilitant ainsi leur circulation tout en réduisant les risques opérationnels et de fraude. Le DC/BR est également en charge du règlement/livraison des transactions boursières et des opérations sur titres, en assurant le bon déroulement des paiements des dividendes des sociétés cotées, les remboursements de capital et paiements des intérêts sur les obligations. Il joue, à ce titre, un rôle clé dans le maintien de la confiance entre les intervenants du marché. En outre, il administre le Fonds de Garantie du Marché, qui constitue un filet de sécurité pour couvrir d’éventuels défauts de règlement. Par l’ensemble de ces fonctions, le DC/BR contribue activement à la solidité, à l’intégration et à la modernisation du marché financier régional, en alignement avec les meilleures pratiques internationales.
Le DC/BR est également en charge du règlement/livraison des transactions boursières et des opérations sur titres, en assurant le bon déroulement des paiements des dividendes des sociétés cotées, les remboursements de capital et paiements des intérêts sur les obligations.
Pouvez-vous nous donner un aperçu des évolutions récentes du DC/BR ?
Les évolutions récentes du DC/BR témoignent d’une dynamique positive qui reflète à la fois la vitalité du marché financier régional et l’efficacité opérationnelle de l’infrastructure. L’année 2024 s’est en effet caractérisée par une progression notable des principaux indicateurs d’activité, traduisant la confiance croissante des acteurs du marché et le renforcement du rôle du DC/BR dans l’écosystème.
Ainsi, au 31 décembre 2024, le montant total distribué au titre des dividendes et intérêts a atteint 2 332 milliards FCFA, contre 1 929 milliards l’année précédente, soit une croissance significative de 20,94 %. Cette évolution traduit une amélioration des performances des émetteurs, mais également la capacité du DC/BR à assurer un traitement efficient et sécurisé des paiements liés aux titres. La valeur des titres en conservation au sein du DC/BR a, elle aussi, connu une progression soutenue.
Elle s’est établie à 21 768 milliards FCFA à fin 2024, contre 19 140 milliards en 2023, représentant une hausse de 13,73 %. Cette croissance confirme l’élargissement de la base des émissions et l’attractivité croissante des instruments financiers émis sur le marché régional. Concernant la valeur des transactions dénouées, elle s’est élevée à 942 milliards FCFA en 2024, contre 800 milliards en 2023, soit une augmentation de 17,82 %. Cette tendance haussière illustre la dynamique de marché et l’augmentation des volumes traités sur la plateforme du DC/BR.
Le dynamisme de notre écosystème est perceptible à travers l’évolution des statistiques relatives aux adhérents. En effet, le nombre d’émetteurs d’actions est passé de 47 à 48 entre 2023 et 2024. Du côté des émetteurs obligataires, une contraction a été observée, leur nombre passant de 45 à 41. En revanche, les Sociétés de Gestion et d’Intermédiation sont passées de 35 à 36, tandis que les Banques Teneurs de Compte-Conservateurs ont progressé de 10 à 12, traduisant l’intérêt croissant pour les activités de conservation et de tenue de compte. Ces résultats confirment la progression de l’activité sur le marché financier régional, tout en mettant en évidence la solidité du modèle opérationnel du DC/BR et l’impact sur l’activité qu’aura le lancement de nouveaux services à valeur ajoutée par l’institution dans les mois à venir.
Il y a quelques mois, vous signiez un accord de don avec la BAD pour un projet de digitalisation des opérations de souscription sur le marché financier régional, pouvez- vous nous parler de ce projet ?
Ce partenariat avec la Banque Africaine de Développement (BAD), à travers le Fonds fiduciaire de développement des marchés financiers (CMDTF), revêt une importance stratégique pour le DC/BR. Nous tenons à exprimer notre profonde reconnaissance à cette institution pour son appui déterminant dans la mise en œuvre de ce projet structurant, qui s’inscrit pleinement dans notre politique de transformation digitale.
Le projet, baptisé DIGIAPE, vise à digitaliser l’ensemble des processus opérationnels liés aux opérations de souscription sur le marché primaire. Il repose sur le déploiement d’une plateforme automatisée, développée et hébergée par le DC/BR, destinée à moderniser l’accès aux opérations de souscription aux Appels Publics à l’Épargne (APE) sur le marché primaire. Cette solution permettra aux investisseurs de participer de manière simple, rapide et sécurisée aux opérations de souscription, tout en facilitant l’inscription en compte des titres dans les registres du DC/BR.
Aujourd’hui, nous pouvons affirmer que le projet est en phase avancée. Le développement de la plateforme est quasiment achevé et nous sommes actuellement dans une phase de tests internes pour effectuer les derniers ajustements techniques. En outre, un programme de formation à destination des acteurs du marché est en cours de déploiement, avant le lancement officiel de la plateforme prévu dans le courant de l’année 2025.
Au-delà de la modernisation des processus, DIGIAPE poursuit un objectif d’inclusion financière. En élargissant l’accès aux APE sur le marché primaire à de nouveaux profils d’investisseurs, y compris ceux de la diaspora ou situés dans des zones géographiquement
éloignées, cette plateforme contribuera à élargir la base des investisseurs sur le marché. Elle vise également à augmenter le nombre de comptes titres — qui tourne aujourd’hui autour de 300 000 dans la région — et à favoriser une participation plus active et plus diversifiée aux activités du marché financier régional de l’UMOA.
La liquidité est cruciale et repose en partie sur les délais de règlement et de livraison des transactions boursières. Pouvez-vous nous parler des réformes entreprises dans ce domaine et comment le DC/BR de l’UMOA se compare-t-il à ses homologues africains et internationaux ?
La question de la liquidité est effectivement au cœur des préoccupations liées à la performance des marchés financiers et leur attractivité. Pour améliorer cet aspect essentiel, le DC/BR, dans le cadre de la concession de service public qui lui est accordée, a engagé une réforme majeure visant à réduire le cycle de règlement/livraison des transactions boursières. Actuellement fixé à J+3 — soit trois jours ouvrés après la date de négociation — ce délai était initialement de J+5 lors du lancement du marché régional en 1998. Le projet en cours vise à ramener ce cycle à J+2, en conformité avec les standards internationaux aujourd’hui adoptés par la majorité des places financières développées et émergentes. Cette réforme répond à plusieurs objectifs stratégiques : la réduction des risques de contrepartie et de marché, le renforcement de l’efficacité opérationnelle, l’amélioration de la liquidité ainsi que le positionnement compétitif du marché régional de l’UMOA. En réduisant le délai entre la transaction et le règlement, les investisseurs pourront réutiliser plusrapidementleurcapital,cequifavorisera une rotation plus fluide des portefeuilles et stimulera les volumes d’échanges. Par ailleurs, l’alignement du marché régional sur les meilleures pratiques internationales renforcera son attractivité auprès des investisseurs institutionnels, y compris ceux opérant à l’échelle transfrontalière.
Au-delà de la dynamique de marché, cette évolution contribuera à accroître la confiance des intervenants grâce à une plus grande sécurité des opérations, à la diminution des risques systémiques et à une stabilité accrue du marché. Elle s’inscrit aussi dans une logique d’optimisation des processus financiers, en réduisant les délais, les erreurs et en favorisant l’émergence de services innovants liés à l’automatisation et à la digitalisation des flux. La mise en œuvre effective du cycle de règlement à J+2 est prévue pour l’année en cours, conformément aux orientations de l’Autorité des Marchés Financiers de l’UMOA (AMF-UMOA), avec un travail coordonné entre les structures centrales et les associations professionnelles du marché.
S’agissant maintenant de la comparaison du DC/BR avec ses homologues africains et internationaux, il convient de souligner que le DC/BR présente un modèle institutionnel unique au monde. Il est, en effet, le seul dépositaire central à avoir une compétence régionale couvrant huit États souverains — le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo — réunis au sein de l’UMOA. Cette appartenance plurinationale constitue une singularité structurelle majeure.
A cela, s’ajoutent, la présence au sein de l’Union, d’une Banque Centrale commune, la BCEAO, qui facilite les règlements et la coordination des politiques monétaires ainsi que l’existence d’une monnaie unique, le franc CFA, arrimé à l’euro et utilisée par l’ensemble des États membres, ce qui est un atout pour l’attractivité des investisseurs internationaux. Ce cadre institutionnel intégré constitue un avantage comparatif certain, facilitant les transactions boursières dans la région tout en renforçant la confiance entre les acteurs et les investisseurs.
Quid de l’état de la coopération entre le DC/ BR et les autres dépositaires Ouest-africains et africains en général en perspective de l’intégration des Bourses africaines ?
La coopération régionale et continentale contribue au renforcement du positionnement international et à l’amélioration de la visibilité du DC/BR, un axe stratégique majeur pour le DC/BR qui entretient des relations étroites et constructives avec plusieurs dépositaires d’Afrique de l’Ouest et d’autres régions du continent. Ces échanges s’inscrivent dans une dynamique d’intégration des marchés africains, avec pour objectif commun de renforcer l’interconnexion, l’efficacité et la compétitivité des infrastructures financières.
Sur le plan institutionnel, le DC/BR est activement engagé dans plusieurs réseaux professionnels et organisations internationales. Il est membre à part entière de l’Association of National Numbering Agencies (ANNA), de l’Africa and Middle East Central Depositories Association (AMEDA), de l’African Securities Exchanges Association (ASEA) et de l’International Securities Services Association (ISSA). Cette présence dans des plateformes de collaboration internationale permet au DC/ BR de partager les meilleures pratiques, de s’informer sur les tendances mondiales et de participer aux réflexions sur l’avenir des marchés post-négociation.
En matière de coopération bilatérale, le DC/ BR a signé plusieurs protocoles d’accord avec des dépositaires stratégiques. Un accord de coopération lie notamment le DC/BR à Maroclear, le dépositaire central du Maroc. Des mémorandums d’entente ont également été conclus avec les dépositaires centraux du Ghana et du Nigeria, permettant d’encourager les échanges d’expertise, de renforcer la coordination technique et de poser les bases d’une interconnexion à terme. Plus récemment, le 3 octobre 2024, un protocole d’accord a été signé avec le Qatar Central Securities Depository (EDAA), portant sur le partage d’expérience et le transfert de compétences dans les domaines liés à la gestion des titres.
Ces initiatives de coopération s’inscrivent dans le cadre du Plan d’Affaires 2021-2025 du DC/ BR, baptisé Aya, avec pour vision de positionner l’institution comme une infrastructure de marché de classe mondiale, en conformité avec les standards internationaux en matière de gestion des titres et de dénouement des transactions. Par ailleurs, le DC/BR joue un rôle actif dans le projet d’intégration des marchés de capitaux de la CEDEAO, un programme phare visant à connecter les principales bourses de la région. Ce projet, porté par la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest, ambitionne d’unifier les plateformes d’échange de cinq bourses : la BRVM pour l’UMOA, le Ghana Stock Exchange, le Nigerian Exchange Group, la Sierra Leone Stock Exchange et le Cape Verde Stock Exchange.
Dans cette perspective, les bourses et dépositaires concernés ont mis en place un organe de gouvernance commun, le West African Capital Markets Integration Council (WACMIC), chargé de piloter les travaux techniques et institutionnels de cette intégration. Des étapes importantes ont déjà été franchies, et le DC/BR reste pleinement mobilisé pour contribuer à la réussite de ce projet ambitieux qui renforcera l’attractivité des marchés ouest- africains et facilitera la mobilisation de capitaux à l’échelle régionale.
Parmi les projets phares du DC/BR figure l’adhésion au réseau SWIFT. Quels sont les bénéfices de l’adhésion à la plateforme SWIFT pour les acteurs du marché financier régional ?
L’adhésion du DC/BR au réseau SWIFT vise avant tout à renforcer la connectivité du marché de l’UMOA avec les autres places financières internationales, en offrant à nos adhérents un accès direct à une infrastructure de communication sécurisée, normalisée et mondialement reconnue. Cette intégration permettra de fluidifier les échanges de données financières et de messages de paiement, tout en améliorant la rapidité, la fiabilité et la sécurité des opérations post-marché. Pour les adhérents du DC/BR, l’utilisation du réseau SWIFT contribuera à renforcer leur efficacité opérationnelle et à faciliter les interactions avec des contreparties étrangères, dans un cadre conforme aux meilleures pratiques internationales.
Par ailleurs, l’adoption de SWIFT constitue un pas décisif vers l’alignement de notre marché sur les standards mondiaux. Elle ouvre également la voie à de nouveaux services à forte valeur ajoutée, en matière de règlement- livraison transfrontalier, de gestion des flux de trésorerie ou encore de reporting automatisé. En offrant ce niveau d’exigence technologique et de sécurité, le DC/BR contribue à asseoir la crédibilité du marché financier régional et à renforcer la confiance des investisseurs, qu’ils soient nationaux ou internationaux.
Pourriez-vous nous parler de vos perspectives d’offres de nouveaux services à l’écosystème du marché financier régional?
Le DC/BR poursuit sa stratégie de diversification et d’enrichissement de ses services dans le but de répondre aux exigences d’un marché en constante évolution et de renforcer l’attractivité de la place financière régionale. Plusieurs projets structurants sont en cours de développement, chacun répondant à des enjeux spécifiques de transparence, de sécurité, d’efficience opérationnelle ou encore de modernisation réglementaire.
L’un des projets les plus avancés est celui de l’inscription en compte au niveau client final. À la création du marché, le choix avait été fait d’organiser la conservation des titres sous forme de comptes dits « omnibus », dans lesquels les titres des clients étaient regroupés sans distinction nominative dans les livres du DC/BR. Ce mode de fonctionnement, bien que adapté à une phase initiale, ne permet pas aujourd’hui d’identifier formellement les détenteurs finaux des titres, ce qui limite les capacités de contrôle, de gestion des risques et de conformité.
La transition vers l’inscription en compte au niveau client permettra de renforcer la transparence, de se conformer aux standards internationaux en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, tout en ouvrant la voie à de nouvelles innovations. Ce modèle est déjà en vigueur sur plusieurs marchés africains, notamment au Ghana, au Nigeria ou encore à Maurice, et il constitue désormais une attente forte des régulateurs et des investisseurs. Dans cette dynamique d’amélioration continue, un autre chantier prioritaire est celui du prêt- emprunt de titres, conçu comme un levier pour approfondir la liquidité du marché et prévenir les risques de défaut de règlement dans le cadre de la transition vers un cycle de règlement/ livraison en J+2. Ce mécanisme permettra aux teneurs de compte de mobiliser rapidement des titres disponibles pour honorer leurs engagements, tout en offrant aux détenteurs de titres un revenu complémentaire par la miseàdispositiontemporairedeleursactifs.
Il contribuera à fluidifier le fonctionnement du marché secondaire et à accroître son attractivité, notamment auprès des investisseurs internationaux. Nous travaillons également à une réflexion approfondie sur la mise en place d’une chambre de compensation avec contrepartie centrale (CCP). Cette structure interviendra comme partie prenante dans les opérations post-marché, en se positionnant entre les acheteurs et les vendeurs afin de garantir l’exécution des transactions et de mutualiser les risques. L’implémentation d’une CCP permettrait d’atteindre un nouveau palier en matière de gestion des risques et d’alignement sur les pratiques les plus avancées des marchés financiers internationaux.
Un autre projet porteur est celui de l’inscription en compte des titres des sociétés non cotées dans les registres du DC/BR. Ce service s’inscrit dans une démarche de modernisation du traitement des titres non listés et vise à répondre à une double exigence : sécuriser les instruments de propriété pour les actionnaires et faciliter l’accès aux financements pour les entreprises concernées. La dématérialisation des titres, en éliminant les risques de perte, de vol ou de falsification, renforce la sécurité juridique et opérationnelle.
Elle contribue également à limiter les fraudes, à garantir la reconnaissance légale des droits des actionnaires, et à renforcer la confiance globale dans le marché. Cette inscription constitue une obligation réglementaire issue des dispositions de l’OHADA, et de nombreuses entreprises ont d’ores et déjà manifesté leur intérêt pour faire appel au DC/BR afin d’assurer la conservation de leurs titres dans un cadre sécurisé et normé. À travers ces différents projets, le DC/BR réaffirme son ambition d’être non seulement un opérateur technique fiable, mais également un catalyseur d’innovation et de confiance au service du développement du marché financier régional.