La tension ne cesse de monter dans l’affaire des 39 millions de dollars américains alloués à la construction d’une maison d’arrêt à Kisangani, impliquant directement le ministre de la Justice, Constant Mutamba. Dans une démarche inédite, ce dernier a officiellement récusé le Procureur général près la Cour de cassation, Firmin Mvonde Mambu, ainsi que l’ensemble des magistrats placés sous son autorité.
Dans une correspondance transmise aux autorités judiciaires et politiques, Constant Mutamba dénonce ce qu’il qualifie d’« acharnement judiciaire » et de « complot politique » visant à nuire à son image. Selon lui, le traitement de cette affaire enfreint les principes fondamentaux d’un procès équitable et impartial.
Le ministre reproche au Procureur général Mvonde la précipitation dans la conduite de la procédure, accusant ce dernier d’avoir instruit un nouveau mandat de comparution, alors même que l’enquête préliminaire serait toujours en cours. Il déplore également la demande d’autorisation de poursuites judiciaires adressée à l’Assemblée nationale, qu’il juge inappropriée à ce stade du dossier.
Selon Constant Mutamba, aucun détournement de fonds ne peut être retenu contre lui à ce jour. Il affirme que les 39 millions de dollars américains alloués au projet de Kisangani sont toujours bloqués par la CENAREF (Cellule nationale des renseignements financiers), et n’ont donc fait l’objet d’aucun décaissement ni d’exécution.
Réquisitoire du parquet et réactions politiques
Le lundi 9 juin 2025, le Procureur général près la Cour de cassation a officiellement sollicité de l’Assemblée nationale l’autorisation d’engager des poursuites judiciaires contre le ministre Mutamba. Il l’accuse de détournement présumé de fonds destinés à l’indemnisation des victimes de la guerre des Six Jours à Kisangani. Selon Firmin Mvonde, les explications fournies par le ministre lors de ses auditions n’auraient pas dissipé les soupçons, mais renforcé la conviction du parquet sur son intention de détourner des fonds publics.
Le lendemain, mardi 10 juin 2025, le président de l’Assemblée nationale a alerté les présidents des groupes parlementaires n’ayant pas encore désigné leurs délégués au sein de la commission spéciale chargée d’examiner ce nouveau réquisitoire.
Absence remarquée et contestation des procédures
Notons que Constant Mutamba ne s’est pas présenté, le 9 juin 2025, au Parquet général près la Cour de cassation, où il était convoqué pour une troisième audition. Ses précédentes absences avaient été justifiées par des contraintes d’agenda, mais également par sa contestation des procédures en cours, qu’il juge irrégulières et politisées.
Le Procureur général également visé
Par ailleurs, le Procureur général Firmin Mvonde est lui-même concerné par une série d’interrogations. Une enquête avait été ouverte en novembre 2024 par le ministère de la Justice, portant sur l’acquisition d’un bien immobilier à Bruxelles. En février 2025, un audit a également été demandé pour qu’il justifie l’utilisation des fonds alloués au fonctionnement des parquets.
Dans ce contexte, le document transmis par Constant Mutamba affirme :« Vous avez non seulement entravé le déroulement normal de l’instruction judiciaire, mais également mis en place un dispositif de représailles dirigé contre ma personne, me présentant urbi et orbi comme un ennemi des magistrats. Ainsi, la liberté du magistrat instructeur n’a pu survivre aux travers d’une procédure biaisée, étouffée par des rappels incessants des directives à suivre. »
Un dossier sensible et évolutif
Pour rappel, l’affaire trouve son origine dans l’annonce d’un projet de construction d’un centre pénitentiaire moderne à Kisangani, financé à hauteur de 39 millions USD. Des soupçons de détournement ont rapidement émergé autour de l’exécution budgétaire, mettant en cause le ministère de la Justice. Jusqu’à ce jour, aucune preuve formelle de malversation n’a été rendue publique.
Cette affaire, qui prend une tournure à la fois politique et judiciaire, pourrait avoir de profondes répercussions sur les relations entre le pouvoir exécutif et l’appareil judiciaire en RDC. Elle met également en lumière la question de l’immunité des membres du gouvernement, et celle de l’indépendance du système judiciaire congolais.