Le monde entier avait les yeux rivés sur le Rwanda ce vendredi. Ce petit pays enclavé des grands lacs, coincé entre le frère ennemi du Burundi, la menaçante RDC, l’hostile Tanzanie et l’ami protecteur de l’Ouganda devait se prononcer sur un référendum sans suspens permettant à son président, Paul Kagamé, 58 ans, de se représenter avec une possibilité de se faire réélire par la suite et de rester au pouvoir jusqu’en 2034*.
Ce projet de référendum est né d’une pétition de 3,7 millions de signatures de citoyens ordinaires (sur une population totale de 11 millions d’habitants) souhaitant que le chef de l’Etat se représente au delà de 2017, terme légal qui lui est fixé par l’actuelle constitution.
Washington, principal bailleur de fonds du pays, parle de «manœuvres» et souhaite une alternance en 2017 au risque de fouler au pied la formule sacrée d’Abraham Lincoln qui définissait la démocratie comme «le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple».
L’appel citoyen, «spontané» selon les autorités, a été suivi, le 29 octobre, du vote de la chambre des députés et, le 17 novembre, par le sénat, à l’unanimité. En dépit de ce cheminement légal, le projet référendaire est ouvertement critiqué par ceux qu’on désigne sous le vocable de la «communauté internationale».
Washington, principal bailleur de fonds du pays, parle de «manœuvres» et souhaite une alternance en 2017 au risque de fouler au pied la formule sacrée d’Abraham Lincoln qui définissait la démocratie comme «le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple».
De son côté, l’Union Européenne doute de la crédibilité d’un scrutin mené dans l’intérêt d’un seul individu. Dans le camp africain par contre, c’est le silence qui prévaut. L’Union africaine qui multiplie les messes basses sur le Burundi est restée aphone dans le cas du Rwanda. Faut-il en vouloir à l’instance panafricaine ?
Pour qui connaît le pays des milles collines et l’effroyable tragédie qu’il a subi en 1994 quand 800 000 tutsis furent massacrés en 100 jours, il n’est pas aisé de dénier à Paul Kagamé, l’architecte de la reconstruction, le droit de répondre à l’appel de ses citoyens. Ceux-ci semblent opter pour le développement plutôt qu’une alternance de façade, la sécurité plutôt qu’une ouverture dont nul ne connaît l’issue, le progrès économique plutôt que la parodie de la démocratie.
Mais, quelque soit ce bilan économique, unique en Afrique au regard des infrastructures construites, des progrès dans l’éducation et la santé, dans l’assainissement et le respect de l’environnement et, c’est le point faible des Etats africains, dans la mobilisation populaire autour d’un même idéal, il y a cette question qui se pose: Paul Kagamé n’est-il pas entrain de se rendre indispensable ? Ce changement ne vient-il pas affaiblir les institutions et plonger le pays dans une instabilité institutionnelle à long terme ? La faible opposition au FPR (Front patriotique rwandais) au pouvoir n’est-il pas révélateur d’un contexte de contrôle de la vie politique par les pro-Kagamè ?
La plupart des rwandais que nous avons consulté lors d’un récent séjour dans ce pays pensent le contraire. Pour ces citoyens encore habités par le cauchemar du génocide, le développement est à même de renforcer la démocratie. L’inverse, possible certes, n’a pas toujours été vérifié en Afrique.
Depuis sa première élection en 2003 et sa réélection en 2010 avec à chaque fois plus de 90%, le President Kagamé a eu à jeter les bases d’une nouvelle société fondée sur le progrès et s’appuyant en grande partie sur les services et les TICS.
Les progrès engrangés sont encore fragiles dans une région qui grouille de rébellions et de seigneurs de guerre à l’affût. En optant pour le changement de la constitution plutôt que le changement du président, les rwandais plébiscitent à la fois l’architecte de leur miracle et expriment leur défiance vis-à-vis d’un formalisme démocratique qui avait fait de Poutine un Medvedev et de Medvedev un Poutine sans aucune critique de la communauté internationale.
Au delà des enjeux, le cas rwandais pose la problématique idéologique de la légitimité entre la démocratie professionnelle selon Ulrich Beck et la légitimité d’un dirigeant crédité de l’un des plus beaux bilans économiques depuis les années 60. Le cas Rwandais confirme-t-il ou contredit-il Jeffray Sachs qui disait dans son monumental livre, « La fin de la pauvreté », que la démocratie est une condition sine qua none du développement? A vous d’en juger.
Notice
* Le nouvel article 101 continue de limiter à deux le nombre de mandats présidentiels, tout en abaissant sa durée de sept à cinq ans. Mais parallèlement, un nouvel article 172 stipule que la réforme n’entrera en vigueur qu’après un nouveau septennat transitoire, entre 2017 et 2024. Le président sortant y sera donc éligible, de même que légalement aux deux quinquennats suivants, soit jusqu’en 2034.