Pour Paul Francis TONYE, Gérant du Cabinet LAWAYS à Douala (Cameroun), le bilan de l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires (OHADA) en Afrique est mitigé.
Propos recueillis par Youcef Maallemi, Alger
Quelles sont les principales missions d’OHADA ?
L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) a été créée par le Traité du même nom signé le 17 octobre 1993 à Port-Louis et révisé à Québec au Canada, le 17 Octobre 2008, avec pour principal objectif de trouver des solutions à l’insécurité juridique et judiciaire existant dans les États Parties. L’insécurité juridique s’expliquait notamment par la vétusté des textes juridiques en vigueur : la plupart d’entre eux dataient en effet de l’époque de la colonisation. Ils ne correspondaient donc plus, ni à la situation économique ni aux rapports internationaux de l’heure. Le corollaire de cet objectif consiste en la restauration de la confiance des investisseurs et la facilitation des échanges entre les Etats parties.
Vingt deux ans après la création de l’OHADA, quel bilan en tirez-vous ?
Au regard du système juridique de l’OHADA et de l’attractivité économique des Etats parties, le bilan est mitigé. Par exemple, le droit des procédures collectives est caractérisé par l’existence de plusieurs sources, toutes indépendantes les unes des autres. Cette pluralité cause des conflits qui nuisent à l’efficacité du concept de l’OHADA.
Signer une clause compromissoire comporte des risques monumentaux pour la partie la plus faible. L’arbitrage reste alors une justice de riches bien qu’il soit encadré par des textes
De même, les procédures simplifiées de recouvrement contiennent des dispositions trop favorables aux débiteurs indélicats, telles que les mentions requises à peine de nullité ou d’irrecevabilité des actes. L’arbitrage, quant à lui, est une justice conventionnelle et privée. Les honoraires liés à l’arbitrage représentent des sommes considérables. Signer une clause compromissoire comporte des risques monumentaux pour la partie la plus faible. L’arbitrage reste alors une justice de riches bien qu’il soit encadré par des textes. Le défaut d’encadrement du secteur informel, où, par définition, évoluent des opérateurs clandestins, n’aide pas à assainir et à rasséréner l’environnement économique.
Les 09, 10 et 11 septembre 2015 dernier s’est tenue à Grand-Bassam (Côte d’Ivoire), une réunion du conseil des ministres de l’OHADA, quels sont les thèmes débattus lors de cette rencontre ?
En effet. Présidée par le Premier Ministre de la République de Côte d’Ivoire, elle portait sur l’examen des dossiers financiers et les activités normatives de l’OHADA. Il était question de recevoir l’information financière délivrée par les différents rapports sur la gestion des institutions de l’OHADA et de donner des instructions sur les budgets à venir. Les activités normatives consistaient en l’évaluation de la production législative et de sa pertinence par rapport à l’analyse économique de la région. Aussi les ministres ont-ils apprécié l’avènement de l’Acte Uniforme relatif aux procédures collectives d’apurement du passif qui, comme un cadeau de Noël, entreront en vigueur le 24 décembre prochain.
Quelles sont les priorités du budget de 2016 de l’OHADA ?
A ma connaissance, elles sont de trois ordres :
– La rédaction des actes uniformes relatifs au droit du travail, au droit minier et à la comptabilité des entreprises
– Le renforcement de l’efficacité de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage
– L’instauration d’un parquet général près ladite Cour
Comment l’OHADA mène-t-elle la lutte contre l’informel ?
La caractéristique du secteur informel est d’être invisible. L’éradication de ce fléau appartient aux politiques publiques nationales. Mais, l’arme de l’OHADA étant la loi, l’institution de la déclaration d’activité pour la reconnaissance du statut de l’entreprenant est incontestablement un acte fort de clarté pour le passage de l’informel au circuit économique traditionnel.
Quels sont, les outils mobilisés par l’OHADA pour le développement de ses Etats membres ?
Si l’on considère qu’une justice saine est un élément de progrès, les actes uniformes de l’OHADA peuvent être perçus comme des instruments de développement, parce qu’ils œuvrent pour un espace moderne et intégré. Mais le développement d’un Etat se mesure au bien-être des populations. L’OHADA gagnerait donc à se rendre accessible aux franges les plus vulnérables qui, justement, ont le plus besoin d’elle.
Quel est le lien entre l’OHADA et la BAD ?
Sauf erreur ou omission, je ne connais pas de contractualisation de relation directe entre la BAD et l’OHADA. Toutefois, la BAD développe des politiques sectorielles au bénéfice des opérateurs privés, qui pourraient profiter à l’OHADA, si elles étaient fédérées. Mais tant que le secteur informel montrera une redoutable vitalité, il est à craindre que ces institutions passent à côté de l’essentiel.
Quelles sont les conditions majeures pour une entreprise dans l’OHADA pour avoir un crédit ?
La première condition est sans doute, l’Immatriculation de l’entreprise au Registre du Commerce et du Crédit Mobilier (RCCM). Cette inscription est une obligation pour tout commerçant pour avoir une existence légale, ce qui signifie déjà d’onéreuses formalités pour l’impétrant. Par exemple, l’adresse d’exercice de l’activité est un vrai pari à cause du caractère onéreux des baux commerciaux ou professionnels. Ensuite, les différents types de crédit sont subordonnés à une garantie, généralement, sous forme de caution, d’hypothèque ou d’assurance-vie. Cela n’est pas à la portée de tous les opérateurs économiques et encourage la pratique de l’usure. Certes, le Conseil des Ministres de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA), depuis Janvier 2014 a décidé de réduire le taux de l’usure au sein de l’Union, mais l’idéal serait de couper le mal à la racine et d’arriver à l’abolition de ce phénomène.
Y a-t-il de nouveaux Etats africains qui manifestent pour rejoindre l’OHADA ?
La République Démocratique du Congo est le dernier adhérent de l’OHADA qu’elle a rejointe en 2012. Je ne suis pas instruit d’une nouvelle démarche.
Avec le plan juridique de l’OHADA, Afrique est redevenue une destination de confiance pour les investisseurs. Vous validez ?
Tout est une question de perception. Si les investisseurs se sentent en sécurité dans l’espace juridique OHADA, tant mieux, l’Afrique est effectivement une destination de rêve pour le business en raison de l’énormité du chantier. Mais la norme ne suffit pas. Le bât blesse au niveau de son application sur le terrain qui est loin d’être une sinécure.
A propos
Paul Francis Tonye, est licencié en droit option professions judiciaires à la faculté des sciences politiques et juridiques de l’Université de DOUALA (Cameroun) spécialisation en cours. Gérant du Cabinet Juridique Pluridisciplinaire LAWAYS à DOUALA (Cameroun) Correspondant du Cabinet d’Avocat ARLYZ dans le Val D’Oise (France). Actuellement, candidat au poste d’Arbitre du Centre d’Arbitrage, de Médiation et de Conciliation d’Ouagadougou (Burkina Faso)