La possible réquisition de la société marocaine de raffinage, la Samir, suite à l’annonce par sa direction, le 6 août, de l’arrêt partiel de ses activités du fait d’un endettement lourd, remet au goût du jour le bon vieux débat sur le rôle de l’Etat et l’efficacité de la privatisation des services publics sensibles.
Gardien de l’intérêt général et des logiques à long terme, l’Etat peut-il confier le monopole d’une activité aussi stratégique que l’amont de la distribution des produits pétroliers à un opérateur privé international, soumis aux contraintes de la rentabilité et aux logiques du court terme? Depuisa création en 1959, c’est la première fois que la Samir est en cessation d’activité. Le titre a fondu de moitié à la Bourse de Casablanca depuis le début de l’année.
Les ennuis ont commencé en 1997 à la suite d’une opération de privatisation qui verra le groupe Corral acquérir 67% du capital de la Samir à la faveur d’un appel d’offres international où les principaux intervenants furent battus par le groupe du milliardaire éthiopien, moins disant sur l’offre financière.
Par la suite, nous vécûmes un scénario classique dans les processus de privatisation en Afrique. Le ministre qui eut à négocier les conditions de la cession avec le repreneur, le haut commis représentant les intérêts de l’Etat, se retrouva bombardé directeur général de la Samir.
Le hic dans cette histoire est que jamais les nouveaux maîtres de la Samir n’ont été en mesure d’honorer leurs promesses, donnant plutôt l’impression de vouloir gagner du temps.
En 2012, l’Etat marocain lève les barrières qui pesaient sur l’importation des produits pétroliers. En dépit des chantages du raffineur, cette option est maintenue. En guise de la compensation, il est proposé à la filiale de Corral de se positionner aussi sur la distribution des produits pétroliers. Ce qui fut annoncé en grande pompe au grand dam du Groupement des pétroliers marocains.
Problème, chez la Samir, les effets d’annonce sont plus nombreux que les investissements. Invité à injecter de l’argent dans sa filiale, le groupe Corral joue la montre. De nouveaux endettements sont contractés auprès de différents pools bancaires et des institutions financières qui savent que la Samir est « Too big to fall » dans le contexte marocain.
Des fonds d’investissements comme l’américain Carlyle consentent à injecter des fonds mais seulement pour financer le haut du bilan. L’exposition des banques marocaines serait déjà quant à elle au delà de l’acceptable. Avec un ratio fonds propres sur dettes quatre fois inférieur au minimum requis, la Samir fait peser aujourd’hui un risque systémique sur les intermédiaires financiers marocains. Ceux-ci s’en sont plaints à plusieurs reprises attirant l’attention des autorités sur les orientations d’un management dont la gestion conduira à un profit warning (avertissement sur résultats) émis fin 2014, suivi de pertes records que monsieur Jamal Bâ Amer, directeur général, justifie par le poids du stock obligatoire.
Soit, mais la dette de 30 milliards de dirhams (2,8 milliards d’euros), les retards de paiement à la douane (1 milliard) sont là pour le dire. Le mal est profond. Il faudra en convenir, la privatisation n’a pas induit le saut qualitatif escompté. Dix huit ans plus tard, le bilan de ce processus parrainé par la Banque Mondiale et le FMI s’apprécie au nombre de procès à l’international qui vise le raffineur et à une épée de Damoclés, permanente, qui pèse sur l’économie marocaine. En clair, le cas de la Samir au Maroc montre tous les risques qu’il y a de confier des segments stratégiques à un privé.
La plupart des repreneurs ont tendance à exploiter l’existant, à dégager des profits rapides et à réinvestir après, bien entendu, paiement de dividendes. Au final, c’est au renchérissement des services publiques et à la détérioration de leur qualité qu’on assiste.