Par Christian Kazumba
Conseil en management et en organisation pour des entreprises implantées en Afrique Représentant de la RD Congo pour le Think Tank Club 2030.
Augustin Dokolo et Pascal Kinduelo…ces noms ne vous diront peut-être rien. Pourtant, il s’agit bel et bien des deux derniers ressortissants de la RDC à avoir été actionnaires majoritaires d’un établissement bancaire situé sur le territoire national. Le premier a connu ses heures de gloire dans les années 70 – 80, le deuxième n’a fait qu’un passage éphémère dans le paysage financier local, vendant ses parts au sein de la B.I.C (la cinquième banque du pays en termes de total du bilan) en 2009.
Un constat sans appel
L’essor que connaît le secteur bancaire congolais, depuis le début des années 2000, ne souffre d’aucune contestation possible, comme en attestent, par exemple, le triplement du nombre de banques commerciales implantées sur le territoire ou bien encore le fait que le nombre de comptes ouverts soit passé de moins de 50 000 à plus de deux millions en un peu plus d’une décennie.
Malheureusement, et c’est le moins que l’on puisse dire, les investisseurs nationaux n’en ont que très peu bénéficié.
Ainsi, les cinq premières banques de la place kinoise, en termes de total du bilan, et qui représentent environ 70% de parts de marché à elles seules aussi bien sur les dépôts clients que sur les crédits accordés à l’économie, sont détenues et contrôlées par des non-nationaux : la famille Rawji pour la Rawbank, le groupe Forrest pour la BCDC, Robert Levi pour la TMB, le groupe Blattner pour la BIAC et les nigérians de la First Bank pour la FBNBank.
Par ailleurs, le potentiel du marché domestique a généré l’arrivée récente de groupes bancaires à capitaux «panafricains» tels que Ecobank, Standard bank, la BGFI ou Afriland first bank et provoquera également la prochaine venue, comme annoncée par leurs soins, du kenyan Equity bank et du tanzanien CRDB Bank.
Si l’on peut, bien entendu, se féliciter d’un tel succès, qui ne fait que confirmer la nouvelle attractivité de la RD Congo aux yeux des investisseurs étrangers, l’absence des capitaux nationaux dans le secteur bancaire local ne peut être que constatée et déplorée !
L’état doit-il prendre des participations majoritaires au capital d’une banque ?
Non. La réponse est catégorique.
Clairement, l’état congolais devra se concentrer sur le pilotage de chantiers stratégiques, en vue de l’émergence économique planifiée en 2030, en particulier dans le domaine social.
La prise en charge des organes de gouvernance d’une banque et le fait d’en devenir actionnaire principal ne sont pas donc pas à inscrire sur l’agenda des pouvoirs publics.
Même si la stabilisation du cadre macro-économique enregistrée depuis 2010 (le FMI prévoit une croissance de 9,2 % pour l’année 2015) est à mettre au crédit des autorités locales, de nombreux défis, dont le caractère vital est incontestable, attendent ce pays dans les prochaines décennies,essentiellement sur le plan démographique et urbain.
En effet, avec un taux de croissance supérieur à 3%, la population congolaise augmente de plus de deux millions d’habitants chaque année. Les projections les plus objectives font de la RD Congo un pays peuplé de près de 100 millions d’âmes à l’horizon 2025.
Par ailleurs, l’urbanisation croît à une vitesse exponentielle et conduira plus de 50% de la population locale à vivre en zone urbaine à partir de 2030 (contre moins de 35% à date) et fera de Kinshasa à l’horizon 2035, selon toute vraisemblance, la douzième ville la plus peuplée de la planète (avec une population estimée entre 15 et 20 millions d’habitants).
Certes, ces évolutions démographiques ne devraient pas constituer un handicap, bien au contraire, pour un territoire vaste comme 80 fois la Belgique et où la densité de population est inférieure à 35 habitants au Km2 (quatre fois moins qu’en Ouganda et 12 fois moins qu’au Rwanda, les voisins de l’est).
Néanmoins, on comprend aisément que des solutions devront rapidement être trouvées par l’état en particulier en termes :
• de création d’emplois (le taux de chômage avoisine officiellement les 80 %).
• d’accès aux soins (la mortalité infantile dépasse les 100 pour mille).
• de sécurité du territoire (près de 2,7 millions de personnes sont déplacées, selon l’ONU, fuyant les exactions des groupes armés qui sévissent au Katanga ou dans l’est du pays).
• d’amélioration des transports publics (moins de 5% des routes sont asphaltées).
Enfin, le métier de banquier a toujours reposé, en tout temps et sous tous les cieux, sur la notion de confiance. Force est de constater, et ce n’est pas spécifique à la RD Congo, que les populations d’Afrique subsaharienne éprouvent bien souvent une méfiance endémique pour tout ce qui émane de «la chose publique»…
En conséquence, il n’est pas du tout évident qu’une banque à capitaux majoritairement détenus par l’état puisse, spontanément et durablement, générer un capital sympathie dans un pays ou la perception de la corruption est encore très tenace (la RDC figure en 154ème position du classement 2014 de l’ONG Transparency international).
Le centre de décision des banques commerciales doit se trouver impérativement en RD Congo
De ce qui précède, il est possible d’affirmer que le «salut» ne peut provenir que d’initiatives privées.
Alors que l’économie congolaise accumulent les bonnes nouvelles (inflation revenue à des niveaux acceptables, stabilisation du taux de change, fonctionnaires payés en temps et en heure et percevant la totalité de leur salaire etc …), la population a besoin d’un signal fort, pouvant restaurer sa confiance dans l’intermédiation financière du pays et susceptible de lui démontrer que des nationaux sont tout aussi capables, grâce à leur initiative, de tirer profit de l’amélioration de l’environnement macro-économique.
Comme précisé précédemment, l’état ne peut se substituer aux initiatives privées. Néanmoins, il peut les encourager et les faciliter, par exemple en octroyant le bénéfice du code des investissements, et de ses avantages fiscaux conséquents, au secteur bancaire ou en finalisant aussi rapidement que possible la mise en place d’un véritable marché des capitaux (projet piloté, à ce jour, par la Banque centrale).
Au-delà de la nationalité des actionnaires, il est également fondamental que les banques recentrent rapidement leurs centres de décision localement, que ce soit en termes de stratégie commerciale, de contrôle des risques, de politique RH ou de gestion financière.
En effet, les spécificités du marché congolais, ô combien nombreuses et quelquefois très complexes à cerner, ne peuvent être correctement appréhendées que par des décisionnaires ayant une proximité géographique et culturelle digne de ce nom avec la clientèle locale…
En conclusion, je me permets d’appeler de mes vœux la création d’une banque à capitaux congolais, délibérément orientée vers les particuliers et les PME-PMI, faisant la fierté de la population de par sa fiabilité et son professionnalisme, et au sein de laquelle congolais «de sol» et de la diaspora pourraient s’épanouir et mettre à profit leurs compétences et leurs expériences, afin de contribuer à ramener le taux de bancarisation de la RD Congo à des niveaux plus conformes au potentiel gigantesque de ce pays.