Par Par Loïc Batel, via Audace Institut
Vers une accélération de l’urbanisation en Afrique
Parmi les défis que l’Afrique doit relever dans les décennies à venir, la croissance démographique est sans doute le plus important. Alors qu’au cours des cinquante dernières années, le continent africain a déjà multiplié par quatre sa population pour atteindre le milliard d’habitants en 2010, l’Afrique pourrait atteindre les deux milliards d’habitants d’ici 2050 et même les trois milliards vers 2070, soit le tiers de la population mondiale.
Certes, comme toute projection, de tels chiffres restent soumis aux aléas. Mais ces perspectives, calculées sur les tendances actuelles et qui, pour l’Afrique sub-saharienne, ont même été récemment révisées à la hausse par les Nations unies, ne peuvent être ignorées.
Au centre de ce défi aux conséquences économiques, environnementales, politiques et développementales majeures, les villes jouent déjà et joueront un rôle essentiel : à la fois car elles concentrent et, de ce fait, tendent, comme partout ailleurs, à cristalliser l’ensemble des enjeux soulevés par ce bouleversement à venir, mais aussi parce qu’elles devraient d’ici peu accueillir l’essentiel de la population africaine.
Les projections des Nations Unies et d’institutions comme la Banque africaine de développement sont en effet spectaculaires : malgré un taux de croissance urbain en constant ralentissement sur le siècle, la part des Africains dans la population urbaine mondiale devrait doubler d’ici moins de quarante ans, passant de 11,3% en 2010, à 20,2% en 2050. Le taux d’urbanisation de l’Afrique augmenterait lui-même de 50%, pour passer d’environ 40% en 2010 à 50% vers 2035 voire à près de 60% en 2050, soit alors environ 1,2 milliards d’urbains.
Déjà, en 2010, plus d’un quart des 100 villes les plus dynamiques en termes de démographie étaient situées en Afrique qui, en 2011, comportait 52 villes millionnaires. Ce chiffre devrait largement évoluer. Car si des conurbations comme Kinshasa, Gauteng, Abidjan ou Lagos sont souvent mises en avant comme symboles de cette croissance urbaine, de telles mégalopoles ne devraient pourtant accueillir en moyenne qu’une part minoritaire – 20 à 30% – des futurs urbains. Les villes dites intermédiaires ou de taille moyenne voire les petites villes seront au contraire celles sur lesquelles pèsera le plus lourd fardeau.
Certes, il convient de rester prudent sur ces projections : la difficulté d’obtenir des données solides en Afrique rend par essence de telles estimations plus qu’incertaines. Par ailleurs, lorsqu’elles existent, les données sont elles-mêmes souvent hétérogènes, de nombreux pays africains utilisant par exemple des critères différents pour qualifier une population «d’urbaine» : certains ont ainsi tendance à ne prendre en compte que la seule quantité de peuplement pour caractériser une ville, sans jamais croiser ce critère avec celui du type d’occupation exercée par les populations concernées ; par ce biais, des regroupements de personnes qui ne sont en fait que d’importants villages dont l’essentiel de la population est constituée d’agriculteurs sont abusivement qualifiés de «villes».
En outre, ces projections ne donnent lieu qu’à des tendances globales : les moyennes obtenues dissimulent en réalité d’importants contrastes entre les Etats. Plusieurs études menées a posteriori sur la réalité de la croissance urbaine au cours des 15-20 dernières années ont ainsi clairement déjà démontré que, loin d’avoir été une tendance continue, l’urbanisation de l’Afrique a observé un cours des plus tortueux. Si, par exemple, des pays comme le Burkina Faso, le Ghana ou encore le Cameroun ont connu de 2000 à 2010 une croissance urbaine vigoureuse, d’autres comme le Mozambique, le Soudan, le Malawi, le Togo ou encore l’Ethiopie ont au contraire enregistré une croissance beaucoup plus lente, inférieure à 2%, certains états voyant même parfois leur population urbaine décroître: tel fut le cas de la Zambie sur les années 1980 à 2000, de la Côte d’Ivoire entre 1988 et 1998 ou encore du Mali de la fin des années 80 jusqu’en 1998.
Au vu de ces analyses, la croissance des villes en Afrique pourrait donc se faire, à nouveau de façon inégale et à des rythmes extrêmement différents d’un pays à l’autre. Celle-ci fluctuera bien plus probablement en fonction des événements politiques de chaque Etat, de la qualité de leur croissance économique ou encore du rattrapage des campagnes qui a fréquemment freiné la part de l’exode rural responsable de l’urbanisation.
Toutefois, si des doutes subsistent sur le rythme de cette croissance urbaine et sur son caractère uniforme, une certitude demeure. Les villes africaines, prises dans leur globalité, doivent s’attendre à connaitre en moins de trente ans un choc démographique de grande ampleur. Cette croissance se fera avant tout sous l’effet d’une croissance intrinsèque qui, cette fois, devrait largement dépasser les apports des populations issues des campagnes. Cet apport extérieur devrait toutefois également se maintenir, en raison du renforcement de la capacité de la ville à attirer les populations pauvres, y compris des pays limitrophes: comme le rappelle en effet Marie Huchzermeyer, « l’essentiel des pauvres vivant dans les pays périphériques voient la ville comme un marché au sens pré-industriel du terme. Ils n’y viennent pas dans l’espoir d’u trouver un emploi formel (dans l’industrie), un prêt et une maison, mais dans celui de décrocher une petite part du marché informel du commerce de détail et des services ».
La chance de l’Afrique ?
Cette transformation sans précédent peut indéniablement représenter une chance pour l’Afrique. Comme le souligne avec justesse l’ancien directeur général de l’AFD, «une croissance économique forte et soutenue est impossible dans un désert humain. (…) Loin d’être suffisante, la densification des territoires et l’urbanisation qui en résulte sont une condition nécessaire à la croissance. (…) Comme ailleurs sur la planète et à d’autres époques…, ce processus de rassemblement des hommes, par sa simple existence, générera mécaniquement des gains de productivité substantiels, des opportunités de commerce – et donc un certain rythme de croissance économique».
En d’autres termes, le «dividende démographique africain» pourrait constituer un des moteurs de la croissance économique du sous-continent, en raison du fantastique appel d’air induit par la croissance des populations urbaines dont les seuls besoins en infrastructure sont estimés par la Banque africaine de développement à près de 93 milliards de dollars (USD) par an, dont plus d’un tiers engendré par la seule maintenance.
La croissance des villes africaines devrait également entraîner un accroissement significatif de la taille des marchés de consommation que représenteront demain ces centres urbains. Un rapport de Mac Kinsey avance ainsi qu’en 2020, les villes d’Alexandrie, du Caire, du Cap, de Johannesburg et de Lagos devraient chacune bénéficier de populations dotées d’un pouvoir d’achat supérieur à 25 milliards de dollars par an, une douzaine d’autres villes moins importantes relevées dans l’étude affichant des chiffres proches de 10 milliards. La difficulté à chiffrer de façon crédible de tels besoins incite, là encore, à la plus grande prudence. Mais, volens, nolens, l’Afrique accueillera demain d’importants foyers de consommation et de main d’œuvre à la jeunesse sans équivalent : en 2040, les jeunes africains pourraient en effet atteindre les 1,1 milliards, dépassant de ce fait selon l’image retenue par le dernier rapport de UN Habitat, leurs équivalents indiens et chinois combinés.
Au-delà du seul «dividende démographique», la croissance des villes africaines représente un vecteur unique de transformation de grande ampleur, non seulement de la physionomie des villes elles-mêmes, mais aussi à travers elles, de l’ensemble du continent dont elles accueilleront l’essentiel de la population. La ville africaine de demain peut, en ce sens, devenir le creuset de changements uniques en matière de gestion de la ressource, de gouvernance et d’apprentissage du vivre ensemble. Tard venue, l’Afrique pourrait ainsi – à la condition expresse que les efforts nécessaires soient produits dès maintenant – profiter de cette «révolution urbaine» pour éviter un mode de développement «classique» dont les conclusions du dernier rapport du GIEC montre qu’il a atteint ses limites ; le sous-continent pourrait ainsi profiter de cette évolution inévitable, pour littéralement, «sauter» une étape, selon le concept schumpetérien du leapfrogging, et passer directement à un développement plus durable, que ce soit en matière de transport, d’énergie, ou encore, de gestion des eaux et des déchets et, ce faisant, créer les conditions de l’accueil «durable» de ses propres populations.
L’alternative serait au contraire synonyme de risques de déstabilisation de grande ampleur et pour l’Afrique et pour le monde. Or ces risques sont réels, ne serait-ce qu’au regard du constat actuel.
Les risques d’un développement urbain «business as usual»
A la différence de ce que l’on peut observer au niveau mondial où la croissance urbaine a une nette tendance à stimuler la construction et les infrastructures, secteurs qui agissent à leur tour comme autant d’agents démultiplicateurs d’activité, la ville africaine n’entraine pas, pour l’heure, d’accélération significative de la croissance économique. En d‘autres termes, l’urbanisation n’a pas, en Afrique, conduit à une amélioration déterminante des conditions de vie.
Plusieurs facteurs peuvent être avancés pour rendre compte de cette stagnation : alors que, dans la plupart des pays du monde, le secteur agricole est à l’origine des investissements nécessaires à la création d’emplois, celui-ci continue, en Afrique, à souffrir d’un manque cruel de capitaux. De là le maintien d’une faible productivité et donc, la faiblesse de la capacité d’investissement dans les autres secteurs qui trouvent leur plein développement en zone urbaine.
Par ailleurs, alors que jusqu’ici, comme le souligne le dernier rapport des Nations unies sur les villes africaines, un large consensus existait sur la relation entre industrialisation, croissance économique et urbanisation, l’exemple africain est venu perturber cette logique. Une récente étude de la Banque asiatique de développement (BAsD) indiquerait ainsi que, si les deux notions se nourrissent à l’évidence l’une l’autre, c’est davantage l’industrialisation, nourrie en parallèle par des progrès de l’éducation qui conduirait à l’urbanisation et non l’inverse : souffrant à la fois de retards industriels majeurs et d’une population certes de plus en plus nombreuse mais insuffisamment instruite, l’Afrique ne réussirait pas à dégager des marges suffisantes pour obtenir un effet de levier suffisant et, de ce fait, aboutirait à une urbanisation, certes en croissance, mais pauvre en effets vertueux.
Au-delà des raisons qui expliquent ce constat global, quatre principales lignes de faille, propres aux villes africaines, font peser sur leur avenir de fortes contraintes.
D’importantes lignes de faille qui parcourent un tissu urbain fragile
Le premier facteur de fragilité des villes africaines tient paradoxalement aux populations qui la composent. Les bidonvilles ou slums souvent pudiquement désignés sous la dénomination de quartiers « irréguliers », constituent en effet, avec 62 % de l’habitat urbain, l’essentiel des villes d’Afrique sub-saharienne, soit plus de quatre fois la proportion enregistrée en Afrique du Nord, 2,5 fois celle des villes d’Amérique latine ou encore une fois et demi celle des villes d’Asie du sud-est. Ces zones, constituées tantôt de squats, tantôt de lotissements irréguliers ou encore de logements anciens dégradés situés au sein des centres villes accueillent des populations de faible pouvoir d’achat, fragilisées en tout premier lieu par l’incertitude qui pèse sur la pérennité de leur « tenure foncière » et pour lesquelles la lutte pour la subsistance est souvent une affaire quotidienne.
Certes, il ne peut être question de nier au sein de ces villes la croissance certaine d’une nouvelle classe moyenne et dont plusieurs articles se sont récemment fait l’écho. Il convient toutefois de demeurer prudent, ne serait-ce qu’au regard des multiples visages qu’offre ces nouvelles couches sociales. En effet, selon la Banque Africaine de développement, la classe moyenne africaine désigne l’ensemble des personnes gagnant entre 2 et… 20 dollars par jour. Si l’augmentation de cette classe représente bien une nouveauté remarquable, les importants écarts qui caractérisent aujourd’hui sa définition, traduisent bien la faible distance qui sépare la limite inférieure de cette classe de la limite supérieure de la précédente. Or, les hommes et les femmes dont le revenu est situé entre 2 et 4 dollars représentent près de 60% de ce nouvel ensemble. Un rapport de la Standard Bank, intitulé en 2014 « Comprendre la classe moyenne africaine » estime même que si la population des classes moyennes africaines est passée de 4,6 à près de 15 millions d’individus en 15 ans, 86 % des personnes concernées se situaient dans la catégorie des « faibles revenus ». La vulnérabilité de cette catégorie de population aux aléas économiques ou sanitaires est donc patente, le moindre accident ou événement défavorable pouvant signifier un basculement ou un retour dans la pauvreté.
Cette population urbaine est par ailleurs à l’image de l’Afrique : jeune – comme il l’a été rappelé précédemment (20% des Africains avaient, en 2012, entre 15 et 24 ans) – et surtout sous employée. Certes, le taux de chômage officiellement affiché par le sous-continent pourrait paraitre enviable, avec environ 6% de sans emploi. Toutefois, comme l’essentiel des statistiques africaines, celles du chômage sont le plus souvent déficientes, voire erronées. Au mieux, elles ignorent la réalité du monde du travail en ne tenant pas compte des emplois précaires et du sous-emploi dans le secteur informel, dissimulant ainsi la faiblesse réelle du taux d’activité doublée de celle des niveaux de rémunération.
Selon un rapport de la Brookings Institution, « Les jeunes [africains] trouvent du travail, mais pas à des rémunérations correctes et sans la possibilité de perfectionner leurs compétences ou d’avoir une certaine sécurité de l’emploi ». Malgré un taux de croissance moyen à 4% en 2013, plus de 70 % des jeunes Africains en moyenne vivraient avec moins de 2 dollars par jour, soit le seuil de définition de la pauvreté. Il convient là encore de ne pas se laisser abuser par ces moyennes, purement statistiques et dont la définition tient davantage lieu de convention que d’indicateur réel de pauvreté, particulièrement en ville. Ainsi, ces niveaux ne prennent pas en compte les coûts supplémentaires auxquels doivent faire face les citadins par rapport aux habitants des campagnes. Comme l’explique fort bien S. Commins, « alors que les ruraux peuvent en général obtenir, dans leur environnement proche, du carburant, des matériaux de construction, des aliments, de l’eau etc., les habitants des villes, eux, doivent payer pour presque tous ces éléments. »
Par ailleurs, même en considérant que ce taux de 6% de chômage soit proche de la réalité, celui-ci n’en demeure pas moins situé à 20% au-dessus du taux mondial (aujourd’hui de 5%), alors que l’Afrique vient de connaître plus de 10 ans de croissance quasi ininterrompue et qu’elle comptait en 2012 six des 10 économies dont la croissance avait été la plus élevée.
Comme les printemps arabes l’ont récemment montré, l’action d’une jeunesse en situation de sous-emploi peut être un puissant facteur de déstabilisation des pouvoirs en place, particulièrement dans des villes déjà sous pression démographique, où la politisation et la rapidité de mobilisation sont, pour des raisons évidentes, plus élevées que dans les campagnes. Le journaliste nigérian Ahmad Salkida, qui a été l’un des rares à avoir pu approcher les militants du groupe Boko Haram, a récemment rappelé, en guise d’avertissement, que, bien que la motivation de la secte soit principalement idéologique, l’omniprésence du chômage dans le nord du Nigéria avait grandement facilité le recrutement de jeunes.
Cette fragilité des populations et du tissu économique de la plupart des villes africaines explique l’importance vitale qu’y occupe la satisfaction des besoins essentiels, comme l’approvisionnement en eau et en denrées alimentaires, bien avant la fourniture en énergie, pourtant, elle aussi, essentielle. Dans ce domaine, le manque ou la fragilité des infrastructures adéquates constitue là encore une ligne de faille d’importance vitale que la croissance urbaine de demain peut transformer en vecteur d’instabilité majeure.
La dépendance des villes vis-à-vis de l’agriculture urbaine et périurbaine est en effet très forte sur un plan économique et logistique : économique, car les urbains, moins capables que les ruraux de se replier sur d’autres denrées, sont, bien plus qu’eux, exposés à la hausse des prix des produits de base ; logistique, dans la mesure où la fluidité de la chaîne d’approvisionnement, du lieu de production jusqu’aux marchés locaux, qui constituent une véritable plateforme autant qu’un lieu stratégique de communication et de vie sociale, est essentielle à la survie de la ville.
La question de l’eau potable est elle aussi centrale, particulièrement dans une Afrique sub-saharienne souffrant déjà
Malgré une disponibilité potentielle en eau évaluée à près de 6.000 m3 par habitant et par an, niveau en théorie largement suffisant – bien que situé en deçà d’une moyenne mondiale évaluée à 7.600 m3/hab/an, l’Afrique subsaharienne possède, comme le rappelle Alexis Carles, les plus bas taux au monde quant à l’accès à une eau potable en quantité suffisante et de bonne qualité, ainsi qu’à des services d’assainissement adéquats. Sur les 14 pays qui, dans le monde, ont moins de 50% de leur population bénéficiant d’un accès à une eau potable de qualité, 10 sont situés en Afrique, une vingtaine d’autres états africains affichant une moyenne se situant entre 50 et 75%. Si ce taux monte à 82% pour les villes – soit 13 points en dessous de la moyenne urbaine mondiale – le résultat reste aujourd’hui encore très insuffisant. La situation est encore plus préoccupante pour l’accès aux services d’assainissement : les villes d’Afrique sub-saharienne auraient un taux d’accès à des moyens d’assainissement dits « adéquats » se situant autour de 50%, contre 75% pour la moyenne mondiale. Ces quelques chiffres donnent au total la mesure des efforts à fournir en termes d’investissement afin d’accompagner le choc que représentera le quasi doublement de la population urbaine dans les soixante ans à venir.
Dans ce contexte, les risques que font peser à terme les conséquences du changement climatique sur les cultures – sécheresse, événements extrêmes, diminutions des terres arables, stress hydrique etc. – mais aussi la faible productivité de terres africaines déjà très sollicitées par les monocultures pourraient constituer autant de facteurs de tensions dans des villes africaines qui témoignent déjà d’une grand fragilité institutionnelle.
Cette fragilité de ce que l’ensemble de la communauté du développement a pris l’habitude de désigner par le terme aussi indéfinissable qu’englobant de « gouvernance » est manifeste.
Les causes en sont multiples : centralisation du pouvoir et des financements laissant les villes souvent sans grands moyens face aux urgences et aux besoins d’investissements locaux, bureaucratie inefficace et tatillonne, corruption et trafic d’influences multiples, forces de l’ordre et de sécurité manquant de moyens et de formation et donc aussi redoutées que mal aimées, enfin et surtout un cruel déficit de compétences et de savoir-faire dans des domaines aussi essentiels que la planification, l’architecture urbaines ou l’aménagement du territoire.
Au-delà, il convient également de s’arrêter sur une des caractéristiques de cette Afrique urbaine. Réceptacle de la diversité ethnique et sociale du pays, les villes de l’Afrique sub-saharienne ne constituent guère des creusets dans lesquels viendraient se fondre en une unité nouvelle les différentes composantes ainsi rassemblées. En ce sens, elles offrent bien davantage le spectacle de mosaïques, où chaque groupe parait avant tout soucieux de maintenir une égalité de traitement entre eux. Pour reprendre les termes de S. Commins : « en Afrique, les zones urbaines (…) sont un théâtre où se définit l’identité nationale et où l’on teste la capacité de l’Etat à équilibrer les exigences de communautés politiques rivales ». Malgré des contre exemples certains mais déjà lointains, comme l’Afrique du sud, où longtemps, une certaine identité des quartiers noirs a pu se construire sur le socle commun de la lutte anti-apartheid, cette défiance urbaine reste manifeste, que ce soit au sein des différentes populations voire des différents quartiers qui forment la ville ou entre les villes et le pouvoir central. Un vivre ensemble reste à construire.
Rassurer la ville, assurer sa stabilité et sa sécurité tout en lui donnant davantage d’unité et de cohérence constituent un autre défi majeur pour l’Afrique urbaine actuelle et à venir.
Il convient toutefois de ne pas se tromper sur l’acception du terme « sécurité » : cette « sécurité de la ville et de ses habitants » n’a en effet de sens que si elle est comprise dans son acception la plus large : sécurité alimentaire ou sanitaire, sécurité également financière, foncière et juridique ; sécurité enfin, bien sûr, également, des personnes et des biens. On le voit bien, il est essentiel de sortir d’une vision sécuritaire qui se limiterait à une interprétation purement « policière » ou « bunkerisée » de la ville, piège dans lequel sont déjà tombées de nombreuses villes du nord comme du sud dans lesquelles certains quartiers ressemblent à des mosaïques d’unités sécurisées où règnent matériels et société de protection. En revanche, il ne peut être non plus question de nier la réalité de la violence urbaine en Afrique.
A nouveau, l’ensemble des statistiques et des renseignements sur la violence urbaine en Afrique doit être pris avec précaution, surtout au regard des chiffres alarmants avancés par les Nations Unies, selon lesquelles le taux des habitants des villes victimes d’un délit au cours des cinq années précédentes dépasserait 70% en Afrique. Ce rapport évoque également une « délinquance des jeunes <africains> de plus en plus violente (…) <ceux-ci> imposant des contrevaleurs individualistes en brisant la solidarité des sociétés traditionnelles (…) <étant eux-mêmes souvent> utilisés par le crime organisé ».
Les causes invoquées sont multiples : la misère, bien sûr, mais aussi son corollaire, l’emprise de la grande criminalité, allant de l’économie de la drogue à la contrebande et à la contrefaçon. Il faut également évoquer la circulation d’armes, facilitée par la proximité de zones de conflits, du Sahel à la Corne de l’Afrique, en passant par la Libye mais aussi la disparition des liens familiaux traditionnels, cette crise de la famille précipitant de nombreux enfants dans les rues. La faiblesse des forces de l’ordre – on comptait ainsi en 2010 un policier pour plus de 2400 habitants en Guinée Bissau, 1 pour 1454 au Rwanda ou encore 1 pour 1839 habitants en Ouganda (pour mémoire, la France compte environ près de 4 policiers pour 1000 habitant) – trop souvent mal équipées, mal payées et insuffisamment formées, avec son corollaire, une inefficacité patente, doublée d’un manque de mesure et d’une violence exercée en toute impunité, est également largement en cause : les conséquences de cette situation sont lourdes, car à une inefficacité patente qui porte déjà atteinte à la crédibilité de la puissance publique réduite, s’ajoute la défiance voire la franche hostilité des populations, préférant s’en remettre à d’autres autorités parallèles, allant parfois des chefs de quartiers aux milices religieuses, pour le meilleur et le pire .
Certaines zones urbaines paraissent ainsi particulièrement touchées : le taux d’homicide à Kinshasa serait ainsi de 112 pour 100.000 habitants tandis que les services de police en Afrique du Sud signalent une hausse régulière des crimes sexuels, 27% des hommes y admettant avoir déjà commis un viol. De tels chiffres restent toutefois difficiles à vérifier. Il convient de plus de se méfier des effets d’annonce : si on déplore 16.000 meurtres en Afrique du sud, pour la seule année 2011, soit une moyenne de 43 morts par jour et un taux de 31,8 assassinats pour 100.000 habitants, surtout situés dans les villes, il faut en même temps rappeler que ce taux est deux fois inférieur à celui enregistré en 1994, trois ans après la fin du régime de l’apartheid. Les circonstances peuvent enfin influer directement sur les statistiques : cette même année 2011 a vu ainsi la Côte d’Ivoire devenir un des pays les plus violents d’Afrique avec un taux effrayant de 56,9 meurtres pour 100.000 habitants, chiffre qui intégrait toutefois de façon conjoncturelle la poussée de violence ayant accompagné la chute du régime Gbagbo. Les facteurs d’insécurité n’en sont pas moins réels et les risques de déstabilisation d’espaces déjà fragiles induits par l’afflux de population attendu constituent, là encore, une réalité.
Faille moins médiatique mais sans doute tout aussi essentielle pour appréhender le quotidien des villes africaines, l’insécurité foncière constitue un autre frein majeur au développement urbain.
Cette situation tient parfois à l’illégalité de l’occupation des terrains eux-mêmes, rachetés ou obtenus par la force de bandes criminelles qui, à leur tour peuvent revendre la place. Elle tient également à l’existence de plusieurs administrations parfois concurrentes en charge du foncier, source de lutte et de trafic d’influence. Elle tient enfin souvent à la place importante qu’occupe le système foncier coutumier dans les pays d’Afrique sub-saharienne. Ces marchés coutumiers, parfois même reconnus par la loi (ainsi en Ouganda, au Niger ou encore en Afrique du sud), toujours tolérés, assurent une bonne partie de la production de terrains pour l’habitat, particulièrement dans les quartiers informels. Assez simple, ce mode d’accès à la propriété reste cependant fragilisé par la création d’un état de fait plus que de droit. L’absence d’enregistrement des actes de vente affaiblit ainsi doublement la tenure, non seulement en créant de nombreux cas de contestations, mais aussi en facilitant les procédures d’éviction qui sont aussi fréquentes qu’imprévisibles. Par ailleurs, ce système entraine un intense trafic d’influence lié à l’obtention de documents officiels permettant d’officialiser la possession du terrain. Comme le souligne Alain Duran-Lasserve, « des observations faites… en 2009 dans les zones… de Bamako ou de Ségou au Mali montrent qu’un terrain acheté par un particulier à un propriétaire coutumier à un prix donné pourra être revendu au triple de ce prix si l’acte de vente passé devant témoins est enregistré en mairie. Si, pour ce même terrain, une autorisation administrative est délivrée (permis d’occuper), sa valeur sera multipliée par 4 à 6 et, si l’acheteur obtient un titre foncier, par 10 voire par 15. » Le résumé du rapport de la FAO de 2008 sur la « Gouvernance foncière en Afrique central » est sans ambiguïté : « Les problèmes <la corruption, la non application des lois, l’abus de pouvoir, la confusion des rôles, le conflit entre autorités coutumières et autorités administratives> sont connus, mais personne n’ose prendre la responsabilité de changer la situation. La terre est souvent la seule source de revenus stable et les autorités qui peuvent en disposer en profitent pour consolider leur autorité ».
La sécurité des villes africaines, mais aussi leur capacité à bâtir un aménagement durable passe donc bien d’abord par la stabilisation juridique du cadre de vie de l’habitat précaire qui accueille pour l’heure l’essentiel des populations urbaines africaines. Cette assurance de pouvoir vivre et entreprendre constitue une des pierres d’angle du développement à venir sans laquelle il serait vain de continuer à vouloir bâtir.
Des solutions avant tout… africaines au service de la ville durable
L’Afrique ne pourra relever efficacement aucun des défis que contient cette urbanisation de grande ampleur sans l’adhésion des Africains et la fin de pratiques qui constituent autant de freins au développement. Faute de quoi, tout financement ou tout programme d’aide semble voué, dans le meilleur des cas à un succès de long terme des plus incertains. Ce truisme, maintes et maintes fois répété, évoqué, reste malheureusement toujours d’actualité.
Une approche durable du développement urbain commence ainsi par la volonté de quitter d’anciennes habitudes, auxquelles se mêlent également des réflexes culturels, pour se tourner vers une culture de la donnée objective : cela implique, pour les Etats, les administrations et les villes concernées, de recueillir et de stocker une information écrite rationnelle, fiable et utile : cette information doit, à son tour, permettre la mise en place de projets et de politiques mieux ciblés répondant à des défis réels. De tels éléments faciliteront la réalisation de programme d’accompagnement mieux ciblés : ainsi, comment envisager un aménagement du territoire et des paysages urbains pertinents sans cadastre digne de ce nom ni données fiables ? Cette culture de la stabilité et de l’objectivité retrouvée pourrait, au-delà influer sur le développement d’un climat des affaires plus serein car s’appuyant désormais non plus sur une expression éminemment subjective, fluctuant souvent elle-même selon l’interlocuteur, le service ou la communauté rencontrés, mais sur des éléments solides, gages de crédibilité et de succès des projets. Comme le rappelle la Banque africaine du développement dans son étude de 2008 effectuée à la demande du Cameroun sur la modernisation de son cadastre, le cadastre constitue «l’outil indispensable à la maîtrise de l’assiette des impôts fonciers et taxes annexes. Il convient donc pour la mobilisation objective de près 50% des ressources propres aux collectivités locales de parachever son établissement en zone urbaine et d’en faire un préalable à la communalisation des communautés rurales ». Toutefois, sa mise en place, essentielle, demande à être poursuivie. Ainsi, en dépit de débuts prometteurs au Sénégal où, à partir de 1986, un cadastre « fiscal » a pu être réalisé, ayant même débouché sur un transfert à la direction du cadastre de la responsabilité des « impôts et taxes annexes », « dans les faits, le transfert <n’a pas été> effectif à cause du déficit notoire en personnel et en moyens matériels de la Direction du Cadastre. »
Ainsi que le souligne encore Alain Durand Lasserve « Les problèmes et les contraintes rencontrés dans la mise en œuvre de cadastres sont très semblables à ceux observés dans les tentatives d’opérations de titrement. Depuis près de trois décennies, les agences de coopération et les institutions financières internationales ont mobilisé des moyens importants pour assurer la mise en place ou la mise à jour de cadastres dans les villes d’Afrique subsaharienne. De très nombreux projets de cadastres ont ainsi connu un début de réalisation, en particulier dans les pays francophones. À ce jour, aucun projet n’a abouti, et aucune évaluation systématique n’a été faite pour analyser les causes de cette série d’échecs et en évaluer le coût. De telles évaluations semblent aujourd’hui indispensables. »
Cette adhésion passe ensuite par une éducation des populations concernées et une appropriation des actions à mener. Tel est notamment le cas en matière d’hygiène, de gestion des eaux usées, de déchets. Ces connaissances de base, bien assimilées, préviendront, mieux que de couteux systèmes de tout à l’égout, dont l’entretien sur le long terme resterait qui plus est aléatoire, les infections régulièrement constatées dans les quartiers informels. Comme le soulignent plusieurs chercheurs, « sans la participation de la communauté, l’amélioration de l’environnement et sa préservation ne sont guère envisageables. La volonté affichée par la communauté internationale… ne saurait suffire à cette amélioration qui passe nécessairement par al compréhension, par les populations locales, des enjeux de la préservation de leur environnement et par l’amélioration de l’accès à l’éducation en matière de santé environnementale. (…) <Mais> les inerties sont fortes, comme en témoignent les épidémies de choléra qui frappent de plus en plus de villes en Afrique ».
Si les besoins en termes de financements sont immenses, particulièrement au regard du choc démographique à venir, ceux-ci doivent être plus comptables que jamais des réalités locales. Or, force est de constater une certaine tentation, présente au sein de nombreuses institutions de développement, d’afficher avant tout d’importants volumes d’aide. Cette tendance s’est largement accentuée au cours des dernières décennies, avec, notamment, l’importance prise par les prêts aux pays concernés (prêts pour un projet, mais aussi prêts budgétaires). Un des derniers exemples en date réside dans la mise en place du « Fonds vert » annoncé à Copenhague puis confirmé au cours des Conférences qui ont suivi. L’idée de constituer une réserve de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 ne peut qu’enthousiasmer les esprits, même si aujourd’hui, la nature de ces fonds (publics/privés ?, dons ? prêts) reste des plus floues : ceci représenterait en effet presque un doublement de l’aide publique au développement. Toutefois, la crainte de préférer le mirage de l’abondance à la réalité d’un terrain des plus complexes, qui suppose réflexion, dialogue, formation, essai, expérimentation est bien réelle. Malheureusement, les exemples de projets financés à grands renfort de millions et qui ont abouti à un échec partiel ou total sont légions.
Certes, il ne peut être ici question de contester la légitimité de projets de grande envergure : encore une fois, les besoins sont tels que de tels montants sont indispensables au financement de grands projets, particulièrement d’infrastructure dont ces lignes ont, à de nombreuses reprises, souligné l’impérieuse nécessité besoin (en énergie ou en transport).
Les défis démographique et urbain qui attendent l’Afrique – et donc le monde – demandent cependant plus que jamais vigilance et inventivité. L’extrême diversité des situations locales a en effet régulièrement montré par le passé que promouvoir le développement, combattre la pauvreté sous toutes ces formes requièrent une compréhension du terrain et surtout une capacité d’adaptation et d’utilisation des spécificités locales sans cesse renouvelées et depuis longtemps largement mises en en évidence les lumineuses enquêtes et analyses d’Esther Duflo, notamment sur le Kenya ou dans le district indien d’Udaipur. L’exemple de la gestion et de la distribution de l’eau dans plusieurs villes africaines est, sur ce point, édifiant. A l’encontre d’une conception longtemps dominante qui faisait de la notion de « réseau » la forme la plus évidente voire la plus performante en matière de fourniture de services urbains, il ressort aujourd’hui que bien d’autres formes comme les « biens de club », imaginées par les acteurs locaux, nées des carences ou des insuffisances des systèmes publiques, sont déjà à l’œuvre et offrent des solutions opérationnelles qui doivent être prises en compte. « Dans le domaine de l’eau potable, souligne Sylvy Jaglin, la réflexion est longtemps restée binaire : le réseau pour les citadins, le puits et les forages pour les villageois… ». Or, la diversité des situations, notamment urbaines a, de facto, créé des dispositifs hybrides extrêmement variés : « à Maputo, au Mozambique, c’est un modèle entrepreneurial individuel qui domine… d’autres… existent, comme celui de l’entrepreneuriat collectif de Zamcargo, quartier informel de Dar-es-Salaam (Tanzanie)…. La distribution est alors assurée par un micro-réseau de trois « kiosques à eau » (…), le système <étant>géré par un comité élu d’usagers de l’eau. » Ainsi, conclut S. Jaglin, « ces filières décentralisées suggèrent un certain nombre de voies à explorer : réactives, elles répondent aux variations de la demande… ; peu capitalistiques, elles sont techniquement flexibles et aisément redéployables dans l’espace. »
De ce fait, la complexité du tissu urbain, la diversité de ses acteurs, la globalité des problèmes qui s’y concentrent – de la congestion des transports, aux questions énergétiques et sanitaires liées à la gestion des déchets en passant par l’approvisionnement alimentaire et la réduction des différents types de violence –plaident ainsi en faveur d’une approche englobante, « intégrée » de la ville. Comme le souligne la chef de division Collectivités locales de l’AFD, « sous la contrainte de l’urgence, les approches traditionnelles de la ville ont souvent privilégié des portes d’entrée sectorielles, occultant la multiplicité et l’interaction sociaux, économiques et environnementaux. (…) Seule une approche globale permet d’appréhender l’intégralité des questions liées à l’aménagement des territoires concernés. » Certes, cette idée n’est pas nouvelle et figure déjà au centre de la Charte de Leipzig de 2007. Elle est pourtant loin d’être généralisée, car sa mise en œuvre se révèle complexe.
Elle suppose en effet une réelle collaboration des différents acteurs, au premier chef desquels les ministères du pouvoir central et les autorités urbaines concernées, autrement dit, des instances qui, trop souvent, agissent comme autant de chapelles et sont encore trop peu habituées au dialogue, à l’échange d’information, à la collaboration et à la concertation. Elle nécessite en outre la formation de ces administrations centrales et territoriales, dont les connaissances en matière de gestion financière ou d’aménagement du territoire sont souvent insuffisantes. Elle suppose également l’information et la consultation des populations, autant pour prendre en compte les réalités du terrain que pour s’assurer que les mesures seront comprises et acceptées. Un projet à l’image de celui développé par l’AFD autour de la ville de Kisumu au Kenya montre toutefois qu’une telle approche est possible : le prêt accordé à l’Etat Kenyan puis rétrocédé sous forme de don à une municipalité est ainsi allé de pair avec la fourniture d’une forte expertise technique à la ville de Kisumu. Celle-ci a pu en conséquence, améliorer ses capacités de gestion, renforcer ses connaissances en matière de planification spatiale en adoptant une approche stratégique et participative. L’amélioration des conditions de vie de la population s’est enfin accompagnée d’investissements plurisectoriels répartis sur l’ensemble de l’aire urbanisée, y compris dans les quartiers informels.
De telles constatations ne sont pas sans conséquence sur les modes de financement du développement urbain : à côté des financements « classiques » mobilisés par certaines infrastructures, la ville africaine réclame également et avant tout autant formation, acquisition de compétence, accompagnement et assistance technique dans la longue durée, aide à la constitution des bases de données. Elle suppose également apprentissage de l’interministériel, de l’intercommunal, association des populations à la décision, dessaisissement d’un pouvoir qui ne se concevait jusqu’ici que central et total.
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Les villes africaines ne sont pas prêtes à recevoir le choc d’une croissance démographique sans précédent. L’état des infrastructures existantes a peu de chance de résister, demain, à cet afflux massif d’urbains et les modes de gouvernance actuels ne sont pas armés pour accueillir une jeunesse surabondante et tendant à s’affranchir, une fois en ville, des modes d’organisation et d’autorités traditionnelles. D’énormes investissements sont donc dès aujourd’hui nécessaires afin, au mieux d’accueillir, au pire, d’amortir cette révolution humaine. Toutefois, bien qu’indispensable, cet aspect quantitatif reste insuffisant : sans transformation de la « gouvernance » (formation des forces de l’ordre, intégration dans l’organisation de l’autorité de formes locales et opérationnelles d’autorités déjà en place, formation à la gestion et à la planification des autorités municipales etc.), sans une action de pédagogie de long terme menée auprès de l’ensemble des acteurs, -autorités officielles, acteurs détenteurs d’une influence de fait (communautaires, entrepreneuriales etc.), populations locales – la ville africaine de demain est vouée à l’échec, tant les défis dépasseront la capacité de ses structures et de ses responsables.
Un tel accompagnement suppose avant toute chose une volonté des Africains de faire évoluer un certain nombre de pratiques et de comportements : approximations, absence de données solides qui créent l’incertitude et engendrent, par exemple dans le domaine foncier, arbitraire et corruption. Il suppose également de la part de l’aide internationale la mise en place de politiques et de projets de développement s’inscrivant dans la durée, où l’expérimentation, l’abandon de modèles classiques et systématiques au profit de modèles parfois déjà en place et opérationnels ou encore une approche résolument « englobante », doivent être privilégiés. Ce changement de paradigme n’est pas sans effet sur le financement du développement lui-même : si l’âge des prêts est loin d’être révolu, celui, sans doute moins immédiatement visible de l’expertise technique, de la formation, de l’accompagnement de long terme sur des problématiques transversales, celui du croisement entre les moyens de la coopération décentralisée, les fondations privées et les bailleurs classiques, amenés, donc, à harmoniser et à développer les procédures de co-financements devrait aujourd’hui retrouver une place de choix, sous peine de provoquer des déceptions immenses.
Loïc Batel