A l’occasion du salon Afric Talents qui se tient les 17 et 18 avril à Dakar, l’organisateur de cet événement, Didier Acouetey, patron du cabinet Afric Search, revient sur la problématique de l’inadéquation entre l’offre et la demande du marché de l’emploi en Afrique. Entretien.
Afric Talents se tient à Paris, Dakar, Abidjan et Lomé. Quels sont les objectifs de cet événement ?
Dans un continent qui réalise 5 à 10% de croissance annuelle depuis bientôt dix ans, la problématique des ressources humaines est fondamentale. Aussi, il faut que cet élan sans précédent de l’Afrique s’accompagne d’une croissance de l’emploi. C’est dans ce cadre que s’inscrit Afric Talents. Notre crédo c’est d’identifier les bonnes ressources humaines pour les entreprises. Nous devons donc casser le mur invisible entre les candidats et les entreprises. Afric Talents est un vrai espace de rencontres pour l’emploi en Afrique et il en faut beaucoup au vu des énormes besoins tant du côté des demandeurs d’emplois que des entreprises.
Avez-vous justement une idée de l’ampleur de la demande de l’emploi en Afrique?
Selon les études, il y a 10 à 15 millions de jeunes africains qui entrent chaque année dans le marché de l’emploi. Le problème est que ces jeunes sont souvent formés dans des domaines qui n’intéressent pas tellement les entreprises. Dans beaucoup de pays africains, 60 à 80% des profils diplômés viennent des disciplines sociales, littéraires ou encore des sciences économiques. Or, la demande sur ces profils est faible. Il y a par contre un réel besoin des profils pratiques issus des écoles de commerce. Les managers ne chôment pas. Idem pour toutes les formations pratiques. Nous avons besoin d’ingénieurs, de techniciens supérieurs et de techniciens qualifiés. D’où un réel besoin en centres de formation techniques. C’est là où réside le déficit.
Quel est aujourd’hui l’apport de la diaspora dans le marché africain de l’emploi ?
D’une manière générale, la diaspora africaine est assez bien formée dans beaucoup de domaines. Sa force vient du fait qu’elle a évolué dans un univers assez concurrentiel, aux Etats-Unis, à Londres ou Paris, là où la capacité d’initiative est essentielle pour faire carrière. Ce sont des cadres bien formés même s’il en manque encore de profils ingénieurs.
Vous évoquiez tantôt l’inadéquation entre l’offre et la demande de l’emploi. La mise en place d’un marché africain de l’emploi intégré ne viendrait-il pas résoudre le problème ?
L’ouverture des marchés africains dans une perspective d’abord régionale puis continentale me paraît indispensable pour résoudre la problématique du chômage. Par exemple en Afrique du Sud, pays qui vit en ce moment une actualité dramatique, il y a 800 000 postes disponibles par an pour 600 000 demandeurs selon une étude datant de 2014. Au moment du printemps arabe, l’Egypte présentait une offre de 1,5 million d’emplois pour 1,2 demandeurs. L’on peut répéter ces exemples à l’infini. Il y a véritablement nécessité d’ouvrir les marchés et d’envisager l’équilibre de l’offre et de la demande sur un plan plus large. La Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui est un espace plus ou moins intégré doit évoluer dans ce sens.
Ensembles, les pays ouest-africains pourront trouver une solution plus dynamique à la problématique de l’emploi pour les jeunes. Le jeune malien bien formé dans les mines doit pouvoir aller au Niger où les perspectives de l’emploi sont meilleures pour son profil. Le jeune togolais formé dans les métiers de l’hôtellerie doit pouvoir chercher son emploi dans le groupe Azalaï.
Idem pour le guinéen diplômé des Mines qui peut se perfectionner dans un pays comme l’Afrique du Sud qui développe une expérience séculaire dans le domaine des industries extractives. Bref, il est indispensable d’adopter une approche continentale pour non seulement régler le problème de la demande mais aussi élever le niveau de l’offre. Aucun pays ne peut développer à lui seul les centres de formation de qualité. Des centres régionaux spécialisés dont l’emplacement est choisi en fonction des avantages comparatifs de chaque pays pourraient Rehausser l’offre globale.
Est ce que la forte croissance de l’Afrique sur ces dernières années a inversé le phénomène de la fuite des cerveaux ?
Le brain drain existe toujours mais il est bien différent par rapport à ce qu’il était il y a quinze ans. De plus en plus de cadres restent en Afrique. Ceux qui sont bien formés y trouvent de l’emploi. Le phénomène de la fuite des cerveaux est observé par contre au niveau des jeunes mal formés qui ne vont pas trouver de l’emploi sur place et vont essayer de fuir le continent, souvent par la voie de l’immigration clandestine. Ce sont en général des jeunes en inadéquation forte avec les besoins du marché.
Quels sont aujourd’hui les besoins du marché. Quelles formations allez-vous conseiller aux jeunes ?
Les dynamiques sectorielles actuelles dans nos différents pays le montrent bien, le secteur des infrastructures se développe à grande vitesse. L’on n’a jamais vu autant de projets de ponts, de routes, de ports et d’aéroports. Il y a aussi le secteur de l’Energie qui requiert des ingénieurs et des techniciens bien formés. Tout d’ailleurs comme les télécoms, l’informatique et leure produits dérivés. Compte tenu des urgences d’arriver à l’autosuffisance alimentaire et de transformer nos ressources sur place, il est clair que l’agro-business a un bel avenir. Les potentialités d’emplois sont aussi importants dans la finance en générale. Les besoins en structuration des grands projets et en montages financiers vont se manifester au fur et à mesure de la mise en place des grands programmes de développement. Pour finir, je dirai que la jeunesse d’aujourd’hui a plus de possibilités pour rester sur le continent contrairement à leurs aînés des années 80 et 90.
Propos recueillis par Adama Wade