Par Adama Wade
Rappelez-vous du coup de dés du 26 août 1995 à Abidjan. Alors que le Nigéria était en phase de remporter la mise au terme d’un interminable round cristallisant les antagonismes avec le Petit Poucet du Lesotho, un coup de fil entre Rabat et Dakar, via Paris, vient créer la surprise.
Pour satisfaire les membres non régionaux qui ne pesaient pas encore leur poids d’aujourd’hui, il a fallu passer le candidat nigérian, Yesufu Seyyed Abdulaï, par pertes et profits et imposer Omar Kabbaj, illustre inconnu en Afrique, qu’il fallut retenir presque de force dans son fauteuil tant il tremblait d’émotion.
C’est ce profil atypique qui n’avait pas battu campagne qui s’est imposé au grand soulagement des membres régionaux qui craignaient de confier les coffres forts à un nigérian. Ironie du sort, le marocain a obtenu le soutien du Nigeria et de l’Algérie suite au report de 90 jours qu’il fut nécessaire pour débloquer la situation et calmer les uns et les autres.
Vingt ans après, ces membres non régionaux qui pèsent désormais 40% des droits de votes et peuvent faire pression sur les pays à faible revenus via le fonds FAD des prêts concessionnels sont-ils guéris du syndrome «nigeriaphobie»?
Ces membres qui commencent traditionnellement à poser leurs pions au second tour savent que l’élection requiert la double majorité, la leur et celle des africains. Ont-ils évolué sur leur perception du grand frère Nigérian ?
A priori oui, si l’on considère la toute fraîche transition démocratique qui est entrain de se dérouler dans cette fédération. Mais non, en tenant compte de la mal gouvernance qui ronge la première économie du continent et des nombreux scandales dénoncés en son temps par l’ancien gouverneur de la banque centrale du Nigeria, Sanusi Lamido, limogé en février 2014 à cause de ses révélations.
En réalité, le Nigeria qui est un membre important de la BAD de par son poids dans l’actionnariat et dans le fonds Nigeria (solidarité envers les autres pays non pétroliers), ne pourrait ravir l’institution sans dommages pour les règles de bonne gouvernance et l’équilibre démocratique nécessaire au fonctionnement d’une grande institution.
En fait, la candidature de Akinwumi Adesina (https://www.financialafrik.com/bad-sondage/nigeria-akinwumi-adesina-candidat-la-presidence-de-la-bad/) gène les alliés de ce pays aux 160 millions d’habitants. L’Afrique du Sud, désormais siégeant au conseil d’administration (ce qui n’était pas le cas en 1995), aurait d’ailleurs «sponsorisé» le Zimbabwéen Sakala, investi par la SADC pour contrecarrer son grand rival. Ayant trusté la Commission Africaine en violant une règle écrite, Pretoria souhaite qu’Abuja ne la suive pas dans ses ambitions hégémoniques préjudiciables au bon fonctionnement des institutions panafricaines.
Sur le plan personnel, le candidat qui compense son déficit de charisme en se faisant introduire dans les palais africains par la ministre des Finances Ngozi Iweala (recalée de la Banque Mondiale à cause justement du préjugé tenace sur le géant ouest-africain) irait à l’encontre de la diplomatie réaliste de son pays qui passe par une convergence stratégique avec le Tchad, pays quinze fois moins peuplé, mais qui s’est engagé à éradiquer Boko Haram, avatar de la mal gouvernance nigériane.
Sans rejoindre ceux qui critiquent le leadership nigérian (qu’un examen rapide de l’écart entre le perfectionnisme de l’UEMOA et la dispersion de la CEDEAO permettrait d’appréhender) l’on peut émettre des réserves quant aux méthodes d’un candidat qui confond le Trésor américain et la fondation Rockefeller qu’il arbore ostentatoirement dans son CV.
Il est tout à fait regrettable que le seul candidat disposant d’un jet privé ne puisse pas s’exprimer couramment dans la langue de Voltaire qui reste, quoi qu’on le dise, incontournable en Afrique. L’unijambisme de M. Adesina peut-il être compensé par des promesses de cours accéléré de français et d’arabe? A moins de renoncer au bilinguisme de rigueur de la BAD actuelle, il sera malaisé de camoufler dans un boubou africain la vison anglo-saxonne du monde qu’on prête à cet amateur des costumes de luxe.
Il est question en effet de la vision du futur de la Banque africaine. Or, le livre-programme de cet excellent agronome qui prédit la libération du potentiel africain fait du goutte à goutte qvec les chiffres, fertilisants essentiels dans toute vision stratégique. Sans lui dénier les atouts pour diriger la banque panafricaine, l’on peut légitimement se demander s’il ne faut pas confier au candidat nigerian le suivi nécessaire et stratégique de la déclaration de Maputo plutôt que le quotidien d’une banque qui requiert aujourd’hui plus de technicité dans la mobilisation des fonds pour l’Afrique que de profession de foi pour l’Agriculture.
Si la surprise est toujours possible, il est vrai que le souhait rationnel serait de voir le triomphe dun candidat parlant plusieurs langues et capables de nager au milieu des algorithmes complexes de la finance africaine et mondiale et jouissant d’une expérience solide dans la gestion des politiques publiques. L’économiste en développement dont se réclame Akinwimi Adesina pourrait être un plus, à condition de recruter un super conseiller dans l’ingénierie financière.