Un peu court… pour traduire les enjeux complexes auxquels sont confrontés nos sociétés.
Par Richard Attias
On ne peut que constater le décalage total entre la réalité du monde telle qu’elle « explose » aux regards de tous le 11 janvier 2015, et la représentation de l’état du monde, quelque peu simpliste, proposée par le sommet de Davos.
On assiste à une mobilisation unique dans l’histoire des peuples contre la barbarie terroriste, en défense des valeurs de la démocratie, contre les extrémismes communautaristes violents. On regrette à ce titre que les tueries en masse de Baga, au Nord-est du Nigéria, qui se déroulaient en même temps que les exécutions meurtrières de Paris, n’aient pas suscité un quelconque intérêt médiatique ou fait l’objet d’une parole officielle; signe tragique que la valeur d’une vie au Nord est toujours plus importante qu’au Sud.
On voit des gens vouloir faire société ensemble dans le respect de leurs différences. Dignement mais clairement, ils interpellent les élites sur leurs contradictions, leur impuissance, attendent de vrais réponses sociétales enfin associées étroitement aux réalités économiques.
Et puis on lit le programme prévu pour le forum économique mondial de Davos en 2015… Et là, on constate qu’une fois encore, les enjeux décisifs pour les sociétés humaines s’expriment dans le langage technocratique propre au sommet et aux élites des Nords. On a le sentiment que ces élites en sont au deuil difficile de leur vision de la mondialisation, pas aux solutions urgentes pour résoudre ses tensions par l’action. J’ai connu un Davos plus prospectif et visionnaire ! Bien sûr des leaders de 400 cités du monde sont invités, mais pour quelles confrontations ouvertes, pour quelles actions partagées ?
En vérité, il n’y a pas encore de « nouveau contexte global » commun. Les événements récents en apportent une preuve manifeste. C’est bien là le problème. Un processus long de transformation planétaire travaille en profondeur toutes les échelles, tous les peuples et leurs cultures, toutes les dimensions des activités humaines. Il est traversé par une série d’accouchements dans la douleur et parfois l’horreur. Mais les leaders des Suds ont changé beaucoup plus vite que ceux des Nords. La jeunesse des Suds est plus vive, aussi, que celle des Nords.
On assiste à la destruction de pans entiers des réalités passées. Les tensions, les résistances, les transformations sociétales sont au plus fort. Les identités et les cultures, ne seront pas celles d’hier, et encore moins définis dans le vocabulaire des Nords. Les méthodes éducatives et l’emploi sont bouleversés. L’analogique et le numérique fusionnent. La présence et la distance prennent d’autres sens, ainsi que l’espace et le temps humains. Le niveau d’incertitude est au plus haut en matière économique et financière à propos des nouveaux leviers de croissance. L’écroulement, seul, du prix du pétrole change la donne.
Ce qui est beaucoup moins incertain, malheureusement, ce sont l’insécurité alimentaire, les épidémies qui progressent comme l’Ebola, les guerres énergétiques, les catastrophes naturelles aggravées, les réseaux de criminalités, les risques d’explosion sociétales entre communautés. C’est sur ces enjeux que l’on attend des leaders du monde qu’ils fassent preuve d’une grande capacité d’intelligence collective, d’innovation radicale et de coopération proactive. Qu’ils pilotent le changement, ensemble.
On voudrait par exemple un forum sur la « nouvelle vision partagée, économique et sociétale » de la transformation, des ateliers participatifs sur la manière d’assurer une gestion mutualisée de l’exploitation des ressources naturelles, mais aussi de celle des risques sociétaux liés aux décisions géoéconomiques de production et de distribution; On espère un échange Nords/Suds sur la manière de combler le fossé générationnel qui s’approfondit entre populations de plus en plus âgées et jeunesse, élites et peuples, par l’éducation, la formation, l’entreprise
Oui, on attend un Davos courageux qui témoigne de l’émergence d’ un nouveau contexte et de ses turbulences, dans les faits, et pas seulement dans l’analyse et le discours consensuel. Un Davos où les enjeux d’avenir ne seraient plus formulés en termes aseptisés et où les défis seraient exprimés en un vocabulaire commun qui fasse un sens commun… pour les peuples. Un Davos 2015 où la diversité de 400 cités fera surgir, enfin, une volonté partagée des leaders de résoudre les problèmes par l’action commune, dans le monde réel.
Richard Attias, Fondateur du New York Forum.