Adama Wade
A coup de bougies et de slogans binaires [«Je suis Charlie» ou «Je ne suis pas Charlie»], les moudjahidines de la pensée unique ont réduit le débat essentiel sur les causes de l’Etat Islamique et les raisons de notre déshumanisation progressive en la sempiternelle diatribe de Nicolas Sarkozy lancée à Tariq Ramadan un soir de 2004: » tu es pour ou contre la lapidation des femmes ».
En ces temps de communion et de simplisme, le raisonnement long est suspect, la nuance est tout de suite déclarée coupable. Tout en refusant de céder à l’amalgame, certains intellectuels et journalistes de droite, gauchissisés pour la circonstance, appellent les musulmans à être explicites dans leur condamnation d’un acte barbare que leur seule condition d’humains suffit à recuser. Ceux qui les pointent du doigt, amnésiques de tous les Saint Barthélémy , oublient sans doute que les premières victimes de ces fanatiques sont souvent musulmanes.
Cela dit, il est clair que le monde musulman est en crise. A l’instar de l’Arabie Saoudite qui lapide un blogueur ou des groupuscules qui décapitent des journalistes en direct, le conservatisme -radical empêche tout débat de société d’éclore du Maghreb au Machrek. Ces régimes dictatoriaux soutenus par l’Occident prêt à tous les compromis pour le baril de pétrole et la quiétude d’Israël sont l´une des causes du mal être du monde musulman.
L’autre raison de ce radicalisme tient à l’échec des démocraties occidentales d’intégrer leurs citoyens musulmans dans des modèles démocratiques libres et pluralistes qui donnent les mêmes temps d’antenne aux religieux et aux libertaires, aux agnostiques et aux bigots. Face à la menace islamiste, le défi de la société Occidentale est de ne pas succomber aux sirènes de l’extrême droite et de tous ceux qui prônent le paradis dans le repli sur soi, la limitation de la liberté d’expression et l’islamophobie.
Face à cet immense péril qui touche aux valeurs de la démocratie, ce ce ne sont pas des imams estampillés politiquement correct qui contribueront à enrichir le débat sur la liberté d’expression. Il faut le dire au risque d’effaroucher les esprits sensibles, le tri sélectif des invités des grandes rédactions installe le ronronnrment qui endort les peuples. La fausse cohésion nationale repousse le débat à plus tard. Devrait-on le constater encore une fois, le vrai débat vient de la presse anglo-saxonne.
Ainsi, aux antipodes de la doxa, l’article d’un prestigieux journal, Financial’Times, qualifiant la ligne éditoriale de Charlie Hebdo de stupide, a été retiré fissa la malle, sous la pression d’un océan de tweets avant d’être republié sous une version édulcorée et, à notre sens, indigne de la liberté d’expression. De même, les propos du patron de New York Times appelant au distinguo entre l’insulte gratuite et la satire ont choqué tous ceux qui appelaient à la reprise des caricatures de Charlie Hebdo à l’unisson.
Il y a évidemment un fossé entre la condamnation sans appel de l’acte barbare perpétré contre douze personnes et la validation du principe du droit de rire de tout, de blasphémer, de se moquer des prophètes. Où placer le curseur, peut-on répondre à ceux qui exigent le respect de la foi des autres?
En France, la judiciarisation du débat sur la liberté d’expression (certains délits relèvent du révisionnisme dans le droit francais) donne l’impression d’une sorte de ligne rouge sélective au beau milieu du village Gaullois. Alors que la quenelle relève de l’antisémitisme, la caricature montrant le prophète nu relève, elle, de la liberté d’expression.
Cette polémique entre experts des plateaux-télés est reçue loin de Paris, comme une sorte de double discours sur la liberté d’expression qui couvre la religion mais pas l’Histoire, mythe fondateur de la République dont certains épisodes, sujets à polémiques, doivent être considérés comme l’immaculée vérité.
On le voit bien, l’idéologie sans nom qui gouverne les pensées de nos jours a aussi ses dogmes et ses interdits comme d’ailleurs les religions à cette différence près que c’est elle qui délimite desormais la frontière entre le bien et le mal, le licite et l’illicite. La laïcisation n’a pas résolu les contradictions fondementales de la cité mais les a déplacé sur le terrain glissant de la mémoire et des responsabilités collectives ou particulières. L’enjeu n’est plus de sanctuariser la loi de 1905 mais de préserver les intérêts de la classe dominante qu’il ne faut pas confondre avec ceux de la France.