Tout au long de l’année 2014, le débat sur la démocratie et la libéralisation économique a semblé l’emporter sur le débat sur le développement. Le droit au vote a occulté le droit au pain, les deux exigences n’étant pas antinomiques. Voici le point de vue de Jean-Luc Koffi Vovor, Président du Think Tank Kusuntu-le-Club et Directeur Associé de Kusuntu Partners.
Avec le Discours de la Baule et la chute du mur de Berlin, la question démocratique semble avoir étouffé en Afrique la question du développement. Plus encore, les exigences des plans d’ajustement structurels des années 80-90 ont laissé des souvenirs traumatisants qui aujourd’hui encore rendent timides les prises d’initiatives fortes en matière de développement. Sous le prétexte d’une libéralisation plus grande, les pouvoirs publics peinent à remettre en place les actions de prospectives d’une part et de planification de l’autre. L’amélioration des conditions d’affaires n’est pas une fin en soi et ne sera pas un succès si elle n’est pas guidée par un cadre déterminant la vision et l’exécution des politiques de développement économique dans laquelle elle doit s’insérer. Dure réalité qui est celle d’un continent où les élites philosophent et marchent à la contestation lorsque la majorité des habitants a faim et n’assume que peu ses besoins de base.
Le thème de l’émergence dont s’est emparé le continent africain risque de rester une incantation pieuse si des actions de long terme ne sont pas définies et mises en œuvre de manière organisée et disciplinée avec des objectifs clairs mesurables et mesurés. De plus, la démocratie est réduite à la question de l’alternance au pouvoir et à l’organisation d’élections que tous appellent à être, au delà des urnes elles mêmes, transparentes et, la libéralisation à la question de l’amélioration du climat et des conditions d’affaires dont le nouveau classement vient de paraître. Quelle légitimité populaire à ceci si ce n’est celle donnée par la communauté internationale et autres ONG bien pensantes dont l’enrichissement et le développement inclusif de l’Afrique risque de limiter fortement le fonds de commerce?
A l’étude de la trajectoire économique des pays les mieux équipés mais aussi de celle des nouveaux pays émergents, l’Afrique peut et doit créer son propre modèle, son propre système fait d’institutions, de régulations et de marchés nécessaire à conduire le plus grand nombre de ses habitants à un bien être minimal permettant de sortir le plus grand nombre de la pauvreté. Ce modèle doit laisser une grande part à l’initiative privée mais pas seulement.
La question du développement revient de plus en plus au devant de la scène internationale mais aussi dans les demandes des nouvelles générations africaines. Elle épouse le modèle libéral et pousse à l’entrepreneuriat et à la constitution de champions économiques. L’investissement est nécessaire pour ce faire et ce qui l’interdit c’est en partie la quête démocratique actuelle en Afrique. Ce qui interdit l’investissement, c’est l’absence de sécurité tout court, l’absence de sécurité juridique et institutionnelle, l’absence de sécurité foncière ou encore l’absence de sécurité fiscale. Mais cette insécurité, c’est aussi l’absence de plans et de politiques de développement incluant le plus grand nombre. En résumé, l’absence d’un cadre établi et stable de règles connues et acceptée de tous, dont au premier point, la vision même de développement et les différents plans qui devraient l’accompagner. Au premier rang desquels des politiques d’incitations ciblées avec une perspective de long terme.
Cette sécurité coûte à être mise en œuvre et les faibles moyens et ressources disponibles sont consacrées tous les 4 ou 5 ans à obtenir le quitus mondial de la bonne organisation d’élections démocratiques. Le reste est laissé à des politiques d’incitations à l’investissement et à l’exploitation effrénée des ressources naturelles. De la à la prochaine échéance, on marche, on réclame l’alternance, on conteste les faibles tentatives institutionnelles. Pendant ce temps les peuples se meurent. Ainsi, préoccupés par la question démocratique et le quitus de bonne gouvernance attendu de la communauté internationale, les gouvernants africains ont démissionné de la question du développement et laissent les populations à elles mêmes. Celles-ci créent en retour un système d’anarchie et de chaos qui un jour ou l’autre implosera.
L’Afrique connaît une forte croissance depuis désormais 10 ans. Les chiffres de création de richesse globale sont assez impressionnants et donnent envies aux pays les mieux équipés. Mais la pauvreté ne se réduit pas pour autant, pire elle s’accroît. Certes de façon relative, les statisticiens nous indiqueront le contraire, mais la réalité est que l’Afrique, aujourd’hui, compte en nombre plus de pauvres et plus d’exclus en proportion qu’hier.
Comparée à la zone Asie de l’Est et Pacifique constituée par des pays tels la Corée du Sud et la Malaisie entre autres, la croissance africaine a marqué le pas et a accumulé des retards à partir de l’année 1993, point culminant de la mise en œuvre des plans d’ajustements structurels et de l’accélération des phénomènes démocratiques. S’il faut se réjouir d’un décollage perceptible depuis l’année 2002, il convient toutefois de s’accorder que celui-ci reste insuffisant et surtout insuffisamment orienté.
L’analyse fine des conditions du décollage économique en Asie et dont les pays d’Afrique sub saharienne devraient s’inspirer indique une volonté politique forte de permettre à un nombre très important de sa population de sortir de sa condition économique précaire. Dans ces pays à faibles ressources d’exportation, les politiques ont porté sur ces éléments mêmes dont les institutions de Bretton-Woods ont exigé l’abandon par les pays africains dans les années 80: l’éducation massive à la base, y compris celle des adultes, le développement sanitaire, l’agriculture intensive, l’initiative privée et l’inclusion financière des agents les plus faibles et l’inclusion économique du plus grand nombre grâce à la définition de secteurs d’activités clés et la promotion de champions économiques nationaux.
Aussi, conséquence des politiques d’ajustements structurels des années 80, le débat pour la recherche d’un modèle de développement construit sur les fondements mêmes culturels africains mais aussi en conscience des expériences des pays mieux équipés n’a pas lieu. On n’ose plus ni planification, ni politiques volontaristes de développement d’éducation ou sanitaire ou encore d’orientation générale économique.
Le contexte économique et démographique actuel ouvre à l’Afrique une fenêtre d’opportunité de 30 ans qu’il ne faut pas échouer à saisir. Les défis sont grands et seuls travail et abnégation feront de l’Afrique ce qu’elle aspire à être, pas les sommets et autres conférences incantatoires sans décisions, actions et suivi d’exécution de ces actions. Le rêve du continent africain et sa réalisation sont au bout de la peine de son travail et de sa détermination au développement. A chacun son rôle entre la classe politique, la société civile et le monde des affaires.
Les villes africaines prolifèrent sans plan d’urbanisme, les nantis se dotent de leurs moyens personnels d’accès à l’eau et à l’électricité, le 4×4 est devenu le moyen le plus sûr d’affronter les forêts de nids de poule. Les campagnes continuent de se vider et la population croissante se nourrit désormais du riz thaïlandais avec des sauces aux tomates italiennes plantées et récoltées par les enfants du continent émigrés, le tout baigné dans une huile de palme venue de Malaisie sur résultats de recherche agricole des années 60 en Côte d’Ivoire et de plants et boutures guinéennes. Nulle mention faite des textiles venus de la synthèse des produits du pétrole extrait sur son sol ou du coton dont elle peine à obtenir le juste prix de son éreintant labeur ou encore de la situation socio-sanitaire désastreuse issu de l’abandon guidé et forcé des politiques de développement sanitaire.
Mais l’on ne saurait construire l’avenir en regardant dans son rétroviseur. Des choix existent et des actions sont possibles.Ainsi, il est temps d’accélérer la création des conditions d’un développement inclusif par la promotion forte de politiques d’investissement de mission. Les pistes sont nombreuses, tout comme le sont les bonnes volontés financières en quête d’investissements porteurs de sens. Les pays qui l’ont compris et qui créent et améliorent aux côtés des conditions de libéralisation de la vie des affaires, un cadre de gouvernance favorable et incitatif commencent à en tirer les bénéfices.