C’est donc Béji Caïd Essebsi, 88 ans, vestige du Bourguibisme, qui est sorti vainqueur des présidentielles tunisiennes au risque de faire dire à certains observateurs que la brèche révolutionnaire s’est émoussée. « La jeunesse n’est pas un certificat civil mais un état d’esprit », lance-t-il à ceux qui l’attaquent sur son grand âge.
Le leader du parti Nidaa Tounes l’a emporté au second tour avec plus de 55,6% des suffrages face à Moncef Marzouki, président de la transition, emblématique opposant de Ben Ali mais englué dans une alliance avec les islamistes d’Ennahda qui rappelle l’union entre la carpe et le lapin.
Le taux de participation, qui n’a pas excédé 59% au deuxième tour contre 64% au premier tour, en dit long sur les réserves des tunisiens. Dans un pays où le chômage frappe 15% de la population, il est important de le souligner, la campagne électorale ne s’est pas jouée sur les programmes économiques mais sur les peurs de la perte des acquis modernistes.
Dans ce registre là, c’est plutôt le choix de société qui a été décisif. Les tunisiens ont
choisi la Socièté musulmane d’Andalousie et non celle de la bataille de Badr. « Nous voulons un Etat du 21ème siècle, un Etat de progrès. Ce qui nous sépare de ces gens-là, ce sont 14 siècles », lançait le nouveau président lors du second tour.
Ceux qui l’ont élu veulent plus de liberté, plus d’ouverture et plus de tolérance envers les minorités religieuses. La référence à l’islam n’est plus explicite dans la constitution post révolutionnaire votée par référendum et adoptée en janvier dernier.
La liberté de culte est garantie par le nouveau texte là où l’apostasie est encore de cours dans certains pays maghrébins.
Des acquis que les islamistes n’ont jamais dénoncés ouvertement. » ils ne les ont jamais défendu non plus », rétorque un universitaire persuadé que tout s’est joué sur ces questions là.
Moncef Marzouki paye donc cash le prix de son alliance opportuniste avec les islamistes d’Ennahda. Même modérés, ceux-ci ne rassuraient pas une classe moyenne fortement moderniste et attachée au Bourguibisme.
Les libertés accordées aux femmes ( statut unique dans le monde arabe) dès l’aube des années 60 alors que les saoudiennes n’ont pas encore, en cette fin 2014, le droit de conduire une voiture et les femmes qataries ( pays organisateur de la Coupe du Monde 2022) ont besoin de l’autorisation de leurs maris pour se rendre au stade, installent la Tunisie dans une exceptionnelle île flottante au milieu de la mer calme d’un monde arabe qui n’a pas changé depuis Lawrence d’Arabie.
Hormis l’Egypte où le scrutin ayant porté le général Sissi au pouvoir appelle légitimement certaines réserves, c’est la première fois qu’un scrutin libre sur la façade sud de la Méditerranée consacre la défaite des islamistes. La démocratie tunisienne fait tomber là bien des poncifs et des théories sur l’incompressible popularité islamiste dans les pays musulmans. Ancien ministre de l’Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères sous le premier président tunisien Habib Bourguiba, puis président du Parlement en 1990-1991 sous Ben Ali, le nouveau président n’est pas un novice. Son élection est interprétée dans certains milieux comme le retour de l’ancien régime, impression qu’il a intérêt à démentir trés vite.