Depuis quelques années, l’afroptimisme a pris le pas sur l’indifférence à l’égard de ce continent, ou sur l’afropessimisme. Les titres, qualificatifs et superlatifs ne cessent de fleurir : « L’Afrique qui gagne », « L’Afrique en émergence », « L’Afrique, eldorado du XXIème siècle », le grenier potentiel du monde, le futur atelier du monde, l’émergence du made in Africa…
L’Afrique est devenue la coqueluche des responsables, des observateurs, des économistes, des investisseurs…et surtout de tous ceux qui avaient oublié l’Afrique pendant quinze ans, attirés par les lumières de l’Asie. Tout cela est aussi excessif que l’accablement dont ce continent était hier l’objet.
Certes, depuis 2004-2005, l’Afrique connait une exceptionnelle croissance de plus de 5 %, contre 2,6% dans les années 80 et 2,3% dans les années 90. Mais, malgré ce prodigieux et rapide mouvement de croissance africaine, le PIB africain ne représente que 1,6% du PIB mondial.
Le monde est toujours articulé autour de trois blocs : l’Amérique du Nord, l’Asie, et l’Europe. Ils concentrent la production, les investissements, les savoirs, les technologies, les produits les plus élaborés à haute valeur ajoutée, les entreprises multinationales, les moyens logistiques…L’Afrique est encore à l’écart du monde globalisé.
L’Afrique est aujourd’hui dans cette situation car elle a fait preuve d’une exceptionnelle résilience en affrontant la très forte baisse des prix des matières premières de 1988-1989, et les sévères ajustements structurels des années quatre-vingt-dix. L’Afrique s’en est sortie, connait maintenant depuis dix ans le sentier de la croissance, a traversé la crise de 2008-2009 sans rupture, et démontre une nouvelle fois sa capacité de résilience.
Avec un taux de croissance de 4% en 2013, l’Afrique a réalisé une performance supérieure à la moyenne mondiale de 3%. Les prochaines années sont aussi positives pour l’Afrique avec 4,6 % en 2014 et une moyenne annuelle de 5,2 % pour 2015, 2016 et 2017.
Cette situation recouvre de très nombreuses disparités. Alors que la croissance des pays d’Afrique du nord et d’Afrique australe est en retrait, l’Afrique subsaharienne se distingue avec 5% en 2013 et 5,8 % en 2014 et 2015. Le Nigéria a dépassé l’Afrique du sud et contribue à faire de l’Afrique de l’Ouest la zone à la croissance la plus forte avec plus de 7 % en 2014 et 2015.
Avant d’analyser ces chiffres, il n’est pas possible d’occulter le débat sur la qualité des statistiques africaines, soulevé depuis la révision à la hausse des statistiques ghanéennes et nigérianes en matière de PIB. A l’initiative d’un professeur canadien M. Morten Jerven, certains expriment de plus en plus de scepticisme sur les résultats africains.
Au-delà de ce sujet, ces performances africaines sont favorables en dépit d’une croissance mondiale atone, à l’exception des Etats-Unis. L’Afrique aurait dû être la première victime du ralentissement économique, car sa propre croissance est basée sur les exportations brutes de matières premières et ressources énergétiques. Depuis 2004-2005, l’Afrique a bénéficié de la très forte augmentation des prix des matières premières, de l’effet d’aubaine, et aurait dû en subir le contre coup avec la baisse consécutive au recul de la croissance.
Cette vulnérabilité africaine est accentuée par le fait qu’elle ne les transforme pas. C’est le talon d’Achille de la croissance africaine. Cette situation de dépendance africaine est d’autant plus forte que la transformation des produits bruts est en recul. La valeur ajoutée manufacturière (VAM) a baissé de 15,3% en 1990 à 10,5% en 2008, baisse encore plus forte en Afrique de l’ouest dont la VAM est passée de 13% à 5%.
La croissance africaine est aujourd’hui entretenue par l’agriculture et les services (assurances, banques, commerces, nouvelles technologies, télécommunications etc.), et non par l’industrie manufacturière. Il faut relever le rôle grandissant du tourisme dont les recettes ont progressé de 6% à 10 % l’an entre 2000 et 2012, grâce à 53 millions de touristes en 2012.
L’Afrique n’attire pas que les touristes. Elle séduit aussi les investisseurs étrangers, signe indéniable de son énorme potentiel économique. 80 Mds$ d’investissements directs étrangers sont attendus pour 2014, beaucoup plus que la cinquantaine de milliards de dollars de l’aide publique au développement.
Ces résultats sont d’autant plus satisfaisants que l’Afrique, et plus particulièrement celle de l’Ouest est confrontée à l’épidémie d’Ebola, qui a fait plus de 4 000 morts, et dont le coût évalué par la Banque mondiale, serait de plus de 32 Mds$ d’ici fin 2015.
Ces résultats démontrent la résilience africaine, et prouvent que la croissance africaine engagée depuis dix ans commence peut être à devenir un phénomène durable susceptible de la mettre à l’abri des mouvements erratiques des prix des matières premières.
Dov ZERAH