Par Cédric Mbeng Mezui1
• Des marchés interbancaires plus actifs donneraient plus de signification aux taux directeurs des Banques Centrales ;
• L’introduction des taux de référence interbancaires flottants renforceraient le rôle dévolu au marché interbancaire dans la stabilité du système financier et permettraient de stimuler l’innovation financière avec l’apparition de nouveaux produits financiers tels que : (i) les émissions obligataires à taux flottants ; (ii) les swaps de taux d’intérêts ; (iii) et les options de taux d’intérêts;
• L’intégration des marchés interbancaires est une précondition pour la conduite des politiques monétaires en zone FCFA.
Les 14 pays de la zone FCFA sont divisés en deux unions monétaires distinctes, l’Union Monétaire Ouest Africaine2 (UMOA) et l’Union Monétaire de l’Afrique Centrale3 (UMAC). Pour les deux banques centrales, l’objectif prioritaire de politique monétaire est de garantir la stabilité des prix en s’appuyant sur deux mécanismes principaux, la politique de refinancement et la politique des réserves obligatoires. La politique de refinancement s’exécute via une action par les quantités (objectif de refinancement) et une action par les prix (taux d’intérêt).
La politique des taux d’intérêt, mise en œuvre dans le cadre des guichets de refinancement, vise le pilotage des taux de court terme sur le marché monétaire. Quant au dispositif des réserves obligatoires, il est utilisé comme un instrument visant à renforcer l’efficacité de la politique des taux d’intérêt. La crise financière mondiale de 2008-2009 a ravivé l’intérêt des économistes dans les mécanismes de la politique monétaire. Depuis deux décennies, le dogme de la «stabilité des prix» est au centre de la politique monétaire et le taux d’intérêt à court terme est considéré comme son principal instrument. De plus en plus, il est attendu de la banque centrale de jouer un rôle plus déterminant dans la réalisation des objectifs économiques tels la réduction du chômage, le soutien à la croissance et à l’industrialisation.
En 2011, durant la Conférence Macro du FMI, son Chef économiste, Olivier Blanchard, déclarait que : «Avant la crise (…) nous nous étions convaincus qu’il y avait une cible, l’inflation. Il y avait un instrument, la politique de taux. (…) Le fait est qu’il y a beaucoup de cibles et il existe de nom- breux instruments ».
L’objectif de cette note de politique est de faire des propositions concrètes pour accroître l’efficience du fonctionnement des marchés interbancaires dans la zone FCFA via l’introduction de taux interbancaires flottants. Notre analyse comprendra deux parties. La section 1 présente l’état des marchés interbancaires dans la zone FCFA. La section 2 fait des propositions pour rendre les marchés interbancaires efficients. Enfin, des recommandations sont faites dans la conclusion.
SECTION 1
L’état des marchés interbancaires dans la zone Franc CFA
Les échanges interbancaires devraient se faire au taux du marché interbancaire i’. Par contre, la banque centrale alimente le marché interbancaire en liquidités en fonction de ses objectifs, c’est ainsi qu’elle gère la quantité de monnaie en circulation dans l’économie. Lorsque le marché interbancaire s’assèche, la banque commerciale peut se tourner vers la banque centrale pour emprunter la somme dont elle a besoin. Celle-ci débloque alors des fonds moyennant un taux d’intérêt i qui est le prix auquel les banques vont «acheter» de l’argent auprès de la banque centrale pour ensuite le « revendre » aux entreprises ou aux particuliers sous forme de crédits au taux i’’.
C’est ainsi que les taux de crédits i’’ des banques dépendent du taux d’intérêt i: Plus i est élevé, plus le coût du crédit augmentera mécaniquement dans les banques commerciales ; Plus i baisse, moins l’argent coûte cher à emprunter.
Toutefois, dans le cadre de la zone FCFA, l’activité interbancaire est limitée. En conséquence, les taux interbancaires pondérés sont instables et hors marchés, ce qui implique que les actions des banques centrales sur les taux ne peuvent qu’avoir un impact limité sur l’économie réelle. En effet, le rapport 2012 de la Banque de France sur l’UMAC (ainsi que ceux des années antérieures) indique que l’étroitesse des marchés interbancaires:« (…) reflète avant tout la situation de surliquidité des systèmes bancaires, la rareté des opérations entre pays membres et l’importance des opérations intra groupe réalisées hors marché. Cette faiblesse, qui traduit aussi l’insuffisante intégration sous régionale des systèmes bancaires, affecte les canaux de transmission de la politique monétaire.»
Pour la zone UMOA, le même rapport indique que : « Le montant des transactions, rapporté à la taille du système bancaire, reste toutefois limité. Les filiales des grands groupes bancaires, notamment étrangers, implantés en UEMOA concentrent une part élevée (plus de 40 %) des réserves libres du système bancaire et participent généralement peu à l’animation du marché interbancaire. « Selon les données des deux banques centrales, dans l’UMOA le montant total échangé sur le marché interbancaire a progressé de 12% à 15% de l’actif bancaire total entre 2006 et 2010, avec un taux moyen pondéré instable.
Dans la CEMAC, les transactions du marché interbancaire sont quasi nulles. Elles sont passées de 227 à 56 milliards de FCFA, entre 2006 et 2010 (essentiellement sur le marché interbancaire camerounais) et les taux interbancaires présentent de fortes amplitudes, entre 1,20% et 4,25% en 2012.
Dans le même temps, les taux directeurs des deux banques centrales sont fortement corrélés aux taux directeurs de la Banque Centrale Européenne. En d’autres termes, la portée de la politique monétaire est faussée dans les deux zones monétaires du fait que l’activité du marché interbancaire est limitée.
Les banques se retournent en priorité vers leurs groupes pour couvrir leurs besoins de liquidité de court-terme. Des propositions sont faites pour améliorer le fonctionnement de ces marchés interbancaires dans la section suivante.
SECTION 2
Propositions d’amélioration des marchés interbancaires dans la zone FCFA
Il faudrait favoriser l’introduction des taux de référence interbancaires flottants, sous le modèle de l’eonia4 et de l’euribor5, pour les échéances allant d’un jour à un an que l’on pourrait désigner par : (i) XAF overnight index average (XAFONIA); (ii) XOF overnight index average (XOFONIA); (iii) XAF interbank offered rate (XAFIBOR) et ; (iv6) XOF interbank offered rate (XO-FIBOR).
La mise en place de tels taux de référence aurait de multiples répercussions positives sur le marché financier dans chaque région. Ces taux renforceraient le rôle dévolu au marché interbancaire dans la stabilité du système financier et permettraient de stimuler l’innovation financière avec l’apparition de nouveaux produits financiers tels que : (i) les émissions obligataires à taux flottants ; (ii) les swaps de taux d’intérêts ; (iii) et les options de taux d’intérêts. Cela permettra de contribuer au développement du financement à moyen et long terme, par l’amélioration de la gestion de la trésorerie dans le système bancaire, ainsi qu’en permettant aux marchés financiers de réaliser une meilleure allocation des ressources et des risques. C’est dans un tel contexte que les banques centrales pourront mesurer les besoins de liquidités à l’échelle de leur zone7. Ces taux flottants de référence permettent également d’anticiper la politique des taux de la banque centrale.
Le tableau 1 ci-dessous présente une liste non exhaustive,d’initiatives dans les pays émergents dans la mise en place de tels taux interbancaires flottants:
Tableau 2 Taux interbancaires flottants de référence8
Taux interbancaire | Nombre de banques | Dont banques étrangères |
Shibor | 16 | 3 |
Hibor | 20 | 14 |
Jibor | 18 | 7 |
Mibor | 33 | 7 |
Koribor | 14 | 4 |
Klibor | 11 | 6 |
Phibor | 17 | 8 |
Sibor | 13 | 10 |
Bibor | 16 | 7 |
Quelques expériences dans l’établissement de ces taux existent en Afrique telles que : le Cairo IBOR (CAIBOR) en Egypte, le Nigerian IBOR (NIBOR) au Nigeria, Windhoek Inter-bank Agreed Rate (WIBAR) en Namibie, Johannesburg Interbank Agreed rate (JIBAR) en Afrique du Sud, le Port Louis IBOR (PLIBOR) à Maurice et le projet Casablanca IBOR (CASIBOR)au Maroc (qui n’est pas encore effectif).
Ces expériences montrent que le succès de l’utilisation de ces taux comme taux de références par les banques dépend des conditions suivantes : (i) la liquidité du marché; (ii) la composition des banques du panel de cotation (taille, nombre et crédibilité financière); (iii) le type de cotation et l’infrastructure financière. Les cotations seraient effectuées par un consortium de banques dans chaque zone. Ces banques devraient être choisies par les banques centrales selon un cahier de charges bien déterminé. Il faudrait des incitations pour que les banques communiquent régulièrement des prix fiables. Ces incitations ou conditions prioritaires pourraient comprendre:
(i) l’augmentation du niveau des réserves obligatoires requis pour les banques qui font des appels de fonds hors zone sur des échéances inferieures à un an (sur une période de temps) et rémunération des réserves des banques qui participent pleinement aux échanges de liquidité de court terme dans la zone;
(ii) les prix (cotation) des banques (bid-ask) devraient se faire de manière simultanée et électronique à travers une plateforme gérée par la banque centrale ;
(iii) le nombre de banques commerciales privées devraient dépasser le nombre de banques publiques dans le panel;
(iv) les cotations des banques devraient être rendues pu- bliques pour les amener à être plus transparentes ; et
(v) un accès privilégié aux liquidités de la banque centrale devrait être accordé uniquement pour les banques du panel.
Recommandations
Un meilleur fonctionnement des marchés interbancaires rendrait efficiente la transmission de la politique monétaire, ainsi qu’une meilleure allocation des liquidités bancaires dans les deux unions monétaires. Toutefois, le développement du marché interbancaire dans les deux zones CFA ne peut se réaliser que dans un environnement des affaires amélioré qui favorise la confiance dans le système bancaire. Dans les zones étudiées, les banques centrales devraient:
(i) renforcer la publication des informations du secteur financier ;
(ii) jouer un rôle central dans le développement de la courbe des taux ;
(iii) fournir des outils de gestion de risques (crédit, marché et liquidité);
(iv) développer le marché de la titrisation; et
(v) favoriser les mécanismes du marché pour les besoins de financements à court terme.
En amont, les gouvernements des pays de la zone FCFA devraient :
i. adopter une stratégie claire de construction des marchés monétaires avec le développement des marchés de pension livrée efficaces et le respect des calendriers des émissions de titres ;
ii. favoriser un arbitrage entre les sources de financement internes et externes et contribuer au développement de la courbe des rendements des titres publics.
Enfin, une réflexion devrait être menée sur les objectifs et les instruments de politique monétaire nécessaires à la réalisation des objectifs socioéconomiques des deux régions.
Bibliographie
Banque de France (2012) Rapport zone Franc.
http://www.federalreserve.gov/monetarypolicy
http://www.beac.int
http://www.bceao.int
Notes:
1 Coordinateur de l’Initiative des Marchés Financiers Africains, remercie MM. Hughes Kamewe et Attia Habib
pour leurs contributions.
2 Cote d’Ivoire, Burkina Faso, Benin, Togo, Senegal, Mali, Niger, Guinée-Bissau. La banque centrale pour les
huit pays de l’Afrique de l’Ouest est la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). 3 Gabon, Congo, Cameroun, RCA, Tchad, Guinée Equatoriale. La banque centrale des six pays d’Afrique
centrale est la Banque des Etats de l’Afrique Centrale.
4 EONIA (Euro OverNight Index Average) : Taux calculé par la BCE et diffusé par la FBE (Fédération Bancaire de l’Union Européenne). Il résulte de la moyenne
pondérée de toutes les transactions au jour le jour de prêts non garantis réalisées par les banques retenues pour le calcul de l’euribor. 5 EURIBOR (euro Inter Bank Offered Rate) : taux interbancaire offert entre banques de meilleures signatures pour la rémunération de dépôts dans la zone
euro. Il est calculé en effectuant une moyenne quotidienne des taux prêteurs sur 13 échéances communiqués par un échantillon de 57 établissements
bancaires les plus actifs de la zone Euro.
6 Voir aussi Nalletamby Stefan (2005) XOFIBOR-Proposition pour la BCEAO. Document non publié. Trésorerie de la Banque Africaine de Développement.
7 Les banques centrales pourraient aussi émettre des titres pour réguler la liquidité dans leurs unions monétaires.
8 Chibor= China IBOR ; Shibor= Shanghai IBOR ; cibor= Copenhague IBOR ; hibor= Hong Kong IBOR ; jibor= Jakarta IBOR ; Mibor= Mumbai IBOR ; koribor=
Korea IBOR ; klibor= Kuala Lumpur IBOR ; sibor= Singapore IBOR ; bibor= Bangkok IBOR.