Par Dov ZERAH
Le denier livre d’Éric Zemmour « le suicide français » a pour objectif de démontrer que les causes de la situation actuelle du pays sont : Mai 68, le féminisme et sa remise en cause du rôle du père et de la famille, l’homosexualité, le divorce, l’hédonisme, la technocratie, Bruxelles, l’abandon de la souveraineté, l’acceptation de la mondialisation, la finance internationale…tous les thèmes traditionnellement évoqués par les extrêmes. Même le rock and roll aurait sa part de responsabilité dans notre faillite !
Ce qui interpelle, ce sont ses longs et nombreux développements sur la responsabilité des juifs dans ce suicide :
– En ayant favorisé les lois contre le racisme et l’antisémitisme depuis la loi Pleven de 1973, nous entraverions la liberté d’expression et la liberté de la presse, et aurions mis une chape de plomb sur tout sujet relatif à la Shoah, Israël…
– En défendant Israël, et en manifestant pour défendre certaines préoccupations, nous sommes accusés de double allégeance, aurions ouvert la boite de Pandore du communautarisme, et, pire, créé un modèle que la communauté arabe va chercher à imiter. « Le CRIF tua Napoléon » avec son diner annuel !
– Pourquoi les juifs de par le monde ne s’intéresseraient-ils pas à ce qui se passe en Israël ? Sans remonter jusqu’à la question romaine du XIXème pour laquelle la France s’est battue, il est normal que les catholiques suivent de près ce qui se passe au Vatican et dans le monde chrétien. Leur reprocherait-on de se préoccuper du sort des chrétiens d’orient ? Qui pourrait critiquer les musulmans de se sentir concernés par les événements touchant le monde islamique ?
– Le comble est dans sa défense du régime de Vichy et de Pétain qui auraient sauvé les Juifs français en donnant les Juifs étrangers. Zemmour devrait nous expliquer pourquoi Mussolini attend 20 ans et 1943 pour prendre des lois antisémites, alors que Pétain fait voter le statut des Juifs dès juin 40.
– Nous aurions tort d’insister sur le mot Shoah, nous ferions trop pour la mémoire…Il consacre plusieurs pages pour essayer de démontrer que les Juifs instrumentaliseraient la Shoah. Il n’hésite pas à contester « l’irréductible singularité de la Shoah », au motif que l’histoire a connu d’autres génocides, et notamment celui stalinien. Il ose écrire que « Face à ce torrent de mauvaise foi, Courtois eut le seul tort de prétendre que la sacralisation théologique de la « Shoah » avait été orchestrée pour masquer l’ampleur des crimes communistes.»
– Après avoir repris tous les thèmes les plus éculés de toutes les formes d’antisémitisme, Zemmour pousse sa posture révisionniste jusqu’à prendre la défense de Jean-Marie le Pen. Nous aurions mal compris son expression de « détail » ! D’invectives en amalgames, Zemmour stigmatise les juifs français, et s’impose en avocat et porte-parole de Le Pen !
Je pourrais vous en dire plus sur ce sujet, mais je voudrais insister sur les vraies fausses idées de Zemmour en matière économique. A partir de quelques faits ou décisions, il va chercher à démontrer comment nous aurions mis le doigt dans un engrenage qui, au bout de 40 ans, nous conduit au suicide. La faute aux Américains, aux ultra-libéraux, à la mondialisation, à Bruxelles, à la finance internationale, aux grandes surfaces,…et à tous ses technocrates qui ont vendu la France sur l’hôtel de la pensée unique !
De condamnations en approximations, voire erreurs, la démarche de Zemmour repose sur de nombreux sophismes.
Un exemple permet de comprendre la portée d’un sophisme.
Socrate a dit « tous les Athéniens sont menteurs ». Socrate était Athénien. Donc, il mentait, et donc « tous les Athéniens ne sont pas menteurs ». L’erreur du sophiste est que le contraire de « tous les Athéniens sont menteurs » n’est pas « tous les Athéniens ne sont pas menteurs », mais « il existe un Athénien qui ne soit pas menteur ». Pour Zemmour, tout ce qui a trait à la pensée unique est mauvais, il n’y a rien de bon dans la pensée unique. Il en prend le contrepied, et essaie de bâtir les éléments d’une contre révolution fondamentalement réactionnaire.
Un des arguments les plus extraordinaires : il exhume un article de loi adopté en 1973 qui interdit à l’Etat de se refinancer gratuitement auprès de la Banque de France pour y voir les prémisses de la fin du colbertisme, de la fin de l’Etat. Rien que cela ! Il y voit la conspiration des banquiers. Il ne fait pas dans la dentelle ! Alors qu’il s’agit d’une mesure de bonne gestion financière et publique : il est normal de payer un intérêt lorsqu’on emprunte, même si c’est l’Etat qui emprunte auprès de sa banque centrale.
Zemmour réécrit l’histoire de la fin de la convertibilité illimitée du dollar en or officieusement abandonné le 15 août 1971, et présente cette décision comme un élément clé du complot américain visant à imposer leurs déficits jumeaux et les changes flottants. Les Américains n’ont pas nos contraintes en matière de déficits, non pas parce que les changes sont fixes ou flottants, mais parce que le dollar est la monnaie véhiculaire du commerce internationale. L’abandon du système mis en place en 1944 ne s’est pas en une seule fois, mais en cinq ans. Ce fut une déchirante révision pour les Américains. Cette remise en cause a pris cinq ans : cette décision du 15 août, mais également deux dévaluations en décembre 1971 et février 1973, avant de recourir aux changes flottants en 1976. Même si le marché commun européen et la politique agricole commune fonctionnaient à l’époque avec les changes fixes, Zemmour n’apporte nullement la preuve que les changes flottants favorisaient plus les Etats-Unis que l’Europe !
Avec les Etats-Unis, l’Angleterre est l’autre ennemi héréditaire de la France, et Zemmour nous refait la guerre de cent ans ! L’Angleterre aurait été le cheval de Troie des Etats-Unis pour désarmer l’Europe et dynamiter le « blocus continental ». Zemmour a du mal à accepter que les protectionnismes et dévaluations compétitives de l’entre-deux-guerres ont conduit à l’isolement et à la guerre. C’est pourquoi que dès 1944, les Etats vont chercher à favoriser le commerce entre les nations, ce qui a donné à l’humanité une exceptionnelle période de paix et prospérité depuis soixante-dix ans, ce que Zemmour occulte.
Zemmour a peur de la compétition, de la concurrence. Il ne cesse d’évoquer la France rurale, celle des petits commerçants, des paysans, celle de Napoléon 1er qui la protège, à la différence de Napoléon III qui a osé signer un accord de libre-échange avec la « perfide Albion », la France de Méline et du protectionnisme, la France vichyssoise avec ses ordres professionnels et son retour à la terre…Il vante d’ailleurs François Quesnay, mort en 1774, et les physiocrates, pour qui la terre était le seul facteur de production, de richesses, et n’hésite pas à écrire que « …les Français n’ont jamais cessé de détester le libéralisme… ». Même s’il les cite, il aurait pu montrer comment les français Frédéric Bastiat et Jean-Baptiste Say ont été des apôtres du libéralisme au XIXème siècle.
Bien entendu, Zemmour est contre Maastricht, l’euro, l’Europe, pour la préférence nationale. Comment peut-il imaginer vivre isolé du reste du monde, grâce à un protectionnisme intelligent ? Comment peut-il croire que nous pourrions vendre aux autres pays, tout en érigeant des barrières contre leurs produits ?
En fait, Zemmour a l’intime conviction que la France, les français ne sont pas capables d’affronter les autres, et surtout les Allemands, et que nous serons toujours perdants. Pour Zemmour, la défaite contre les Allemands en football en 1982, à Séville, s’inscrit dans la lignée de Verdun, et de 1940, et le joueur Rummenigge est comparé à Blücher qui emporte la victoire à Waterloo.
Zemmour a peur. Son livre est un compendium de toutes les peurs possibles et imaginables suscitées par notre monde, ainsi que des innombrables complots auxquels la France doit faire face.
Il devrait relire l’histoire de France. Il constaterait que la France n’est grande que lorsqu’elle est conquérante et universelle, alors qu’elle perd lorsqu’elle est nombriliste et xénophobe. Il s’apercevrait qu’Astérix n’est qu’un personnage de bande dessinée !
Dov Zerah
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