Par Jacques Leroueil, Kigali
Dans un rapport paru en 2010 et intitulé « Intégration du secteur financier dans trois régions d’Afrique » (la COMESA d’Afrique de l’Est et australe, l’UMA d’Afrique du Nord et la CEMAC d’Afrique centrale), la Banque africaine de développement notait, parlant de cette dernière, que «le processus d’intégration régionale n’a pas produit à ce stade les résultats attendus ». Quatre ans après, ce constat n’a pas changé.
Pourtant, tous les ingrédients sont réunis pour relever avec succès ce pari de l’intégration financière : une monnaie unique (le franc CFA), des institutions régionales effectives (Banque des Etats de l’Afrique centrale et Banque de développement des Etats de l’Afrique centrale) et des outils communs de supervision (convergence budgétaire, règles bancaires, code des investissements et de la concurrence). Sur le papier, la CEMAC est incontestablement mieux lotie que bien de ses pairs africains (les communautés économiques d’Afrique australe et orientale notamment). Reste qu’au-delà de ces facteurs favorables et des déclarations circonstanciées des uns et des autres sur la nécessité d’œuvrer à ce projet commun, la réalité de l’intégration financière en Afrique centrale est peu attrayante.
Au niveau des banques, et contrairement à ce qui s’est produit ailleurs sur le continent (Afrique de l’Ouest, Afrique de l’Est et australe), il y a peu de champions régionaux présents sur l’ensemble du territoire de la CEMAC. La faute le plus souvent à des États jaloux de leurs prérogatives et déterminés à défendre leur pré carré national. Le gabonais BGFIBank, 1er établissement financier de la zone, a ainsi décroché tardivement son agrément auprès de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (COBAC) pour pouvoir exercer au Cameroun tandis que son rival camerounais Afriland First Bank, 2e groupe financier de la CEMAC, attend toujours l’hypothétique feu vert de Libreville pour pouvoir faire de même au Gabon. Une situation effarante qui explique pourquoi les banques de la zone préfèrent aujourd’hui regarder vers la RD Congo, l’Angola ou le Soudan, voire l’Afrique de l’Ouest, plutôt que vers les autres pays de la CEMAC. Un comble.
Pendant ce temps, leurs pairs ouest-africains tels que Banque Atlantique, Ecobank et Bank Of Africa- sans parler des puissantes consœurs nigérianes (UBA, GT Bank, Access Bank)- ont réussi à tisser leur réseau dans toute la zone UEMOA, et même bien au-delà. La comparaison devient vite cruelle entre les champions respectifs des deux zones CEMAC et UEMOA : BGFIBank, géant bancaire d’Afrique centrale, pesait ainsi 80 % du poids de BOA fin 2012 tandis que le mastodonte Ecobank le surclassait plus de 3 fois (20 milliards de $ d’actifs contre 6 milliards de $). La couverture géographique des établissements financiers d’Afrique de l’Ouest est il est vrai nettement supérieure : quand BOA est installé dans 14 pays africains, qu’Ecobank l’est dans 36, Afriland ou BGFIBank approchent avec difficulté les 10 implantations… Et la donne ne devrait guère s’améliorer à court terme, les groupes d’Afrique centrale étant désormais directement concurrencés sur leurs marchés domestiques. Ecobank est présent dans tous les pays de la CEMAC, tandis que le nigérian United Bank for Africa (UBA) est seulement absent de la Guinée Equatoriale et de la Centrafrique. Quant aux puissants groupes financiers du royaume chérifien ils sont là aussi en embuscade dans la région : Attijariwafa opère déjà au Congo, au Gabon et au Cameroun tandis que la Banque Populaire est, en sus de ce dernier pays (au travers de sa filiale Banque Atlantique), également présente en Centrafrique.
Enfin, au-delà de la concurrence venue de l’extérieure, reste aux banques d’Afrique centrale à réaliser le plus important : surmonter leurs propres faiblesses. Surliquidité ou au contraire faiblesse des fonds propres, manque d’innovation et gestion des risques parfois hasardeuse avec des prêts consentis plus « politiques » que « financiers ». Une combinaison néfaste qui risque d’éluder pour longtemps encore les fruits d’une intégration régionale réussie.
La situation n’est hélas pas meilleure s’agissant des marchés financiers de la zone. Là encore, la faute à des querelles de clochers entre les deux grandes puissances de la région, le Cameroun et le Gabon estimant tous les deux être en droit de représenter les intérêts financiers de l’ensemble de la CEMAC. Résultat : bien que les pays d’Afrique centrale aient accepté dès 2000 l’établissement du siège de la Bourse des valeurs mobilières de l’Afrique centrale (BVMAC) à Libreville (Gabon), le voisin camerounais a préféré faire cavalier seul en mettant en place sa propre bourse, le Douala Stock Exchange (DSX). Au lieu d’un marché intégré, c’est donc un marché financier régional éclaté qui prévaut dans la CEMAC. Le DSX enregistre une activité de marché toujours aussi réduite (3 entreprises présentes à la cote seulement) et connaît une actualité financière toujours aussi morne. Quant à la BVMAC, la rivale gabonaise, elle reste désespérément une coquille vide avec une seule société cotée (SIAT Gabon) depuis le démarrage de ses opérations. Combinés, les deux places financières approchent les 500 millions de $ de capitalisation là où la BRVM d’Abidjan comptabilise 37 sociétés cotées pour une capitalisation boursière totale de 10 milliards de $.
Des insuffisances notoires qui font dire à certains qu’une alliance entre les deux bourses d’Afrique centrale est plus que jamais indispensable. La donne actuelle n’a cependant rien de réjouissant. Annoncé depuis plusieurs années, le rapprochement entre le DSX de Douala et la BVMAC de Libreville n’en finit plus de s’enliser dans d’interminables contretemps. Car in fine, la décision finale reste politique, donc soumise à d’intenses tractations et autres marchandages. Toutes les grandes institutions financières internationales (Banque africaine de développement, Fonds monétaire international et Banque mondiale) ont été sollicitées au fil du temps pour proposer un plan accepté par les deux parties. Mais pour l’heure, pas d’avancée significative. En somme, 20 ans après la création de la CEMAC, le pari de l’intégration financière est loin d’être gagné en Afrique centrale.