Après deux premières éditions à Libreville, la capitale gabonaise accueillait du 23 au 25 mai dernier, pour la troisième année consécutive, le New York Forum Africa (NYFA). Et une nouvelle fois, le Gabon aura été la vedette de l’événement. Leaders politiques et économiques des cinq continents, universitaires, personnalités du monde de la culture et du sport, médias internationaux étaient invités, à travers trois jours de débats, rencontres et échanges, à repenser l’avenir du continent africain… à découvrir le Gabonpar la même occasion, son potentiel, ses nouvelles élites, sa nouvelle attractivité… Un pays en marche vers l’émergence !
Par Dounia Ben Mohamed*
Comme chaque année à la même période désormais, le petit aéroport de Libreville connait une affluence inhabituelle pour un pays d’à peine 1 million 500 mille âmes. On y parle français, arabe, espagnole ou anglais. Le désordre règne dans une ambiance malgré tout joviale. Les habitués se retrouvent sous le regard médusé des nouveaux participants. Le New York Forum Africa (NYFA) démarre dans moins de 24h et les derniers invités arrivent dans des avions chargés de la crème des leaders politiques et économiques des cinq continents, d’intellectuels internationaux et d’importants investisseurs venus de toute la planète attirés par le bruit que commence à faire « le havre de paix de l’Afrique centrale ».
« Un forum d’économie inclusive »
Pour la troisième année consécutive le Gabon accueillait du 23 au 25 mai dernier le NYFA. La grande messe organisée par le concepteur du Davos, Richard Attias, et qui se veut être une déclinaison du New York Forum soit une plateforme d’échange entre les décideurs politiques et économiques de ce monde. Et pour répondre aux critiques des éditions précédentes pendant lesquelles la population locale, peu présente, s’interrogeait sur les retombées réelles d’un événement si coûteux_ sans doute également pour contrecarrer le contre forum social du Front des indignés qui n’a jamais réussi à faire de l’ombre au NYFA encore moins cette année_ le NYFA III s’est ouvert sur un forum citoyen. « Preuve que le NYFA, souligne Richard Attias, si certain en doutait, est un forum économique certes mais d’économie inclusive ». Autrement dit, aux services des populations.
Le premier sommet des citoyens africains…
Des jeunes en l’occurrence puisque c’était l’objet de cette première édition du « Citizen Summit d’Afrique ». En guise de préambule et pour planter le décor, Richard Attias a présenté les conclusions d’une enquête sur la jeunesse africaine réalisée en exclusivité par la fondation New York Forum Institute auprès de 5 000 jeunes originaires de plus d’une quarantaine de pays du continent. Les résultats permettent de rompre avec un certain nombre d’idées reçus sur la jeunesse africaine. Ainsi on y découvre que 89% des sondés pensent que leur niveau de vie sera meilleur que celui de leur famille. Une jeunesse optimiste donc. Même s’il elle se dit préoccupée par le chômage, première cause d’inquiétude (30%), suivi par le coût de la vie (17%). Une jeunesse également ambitieuse : 53 % visent un doctorat ou au-delà et 34% un master. Une jeunesse surtout qui voit son avenir en Afrique ! Seul 3% aspirent à vivre à l’étranger. Bien que 60% d’entre eux souhaitent y étudier. L’enquête révèle également un véritable bouleversement générationnel : tandis que leurs aînés se bousculaient dans le public, les trois quarts des jeunes interrogés ont «envie de monter leur propre affaire». Enfin, 76% du panel se dit convaincu que son destin est déterminé par ses propres capacités. De quoi rassurer sachant que l’Afrique est un continent jeune, les moins de 15 ans y représentent 40 % de la population totale. Une proportion amenée à doubler dans les années à venir…
… « Un véritable exercice de démocratie »
Ceci étant dit, les jeunes présents en nombre sous la tente plantée aux abords du stade de l’Amitié de Libreville, sont livrés à un jeu de questions-réponses, avec des personnalités politiques et économiques, dont Jeff Martin, l’acolyte de Steve Jobs; Dikembé Mutombo, le géant_ 2m18_ de la NBA ; le roi du Mbalax et ex-ministre de la culture du Sénégal, Youssou Ndour. Mais également le président Ali Bongo Ondimba (ABO) ainsi que son homologue rwandais Paul Kagamé et Catherine Samba-Panza, présidente de la transition en République centrafricaine (RCA). Chacun venant livrer et son expérience et son message à la jeunesse du continent. Laquelle, pas impressionnée pour un sous par ces personnalités, n’a pas hésité à « parler vrai ». Intégration régionale, compétitivité, jusqu’à l’image de l’Afrique… Les jeunes ont questionné leurs dirigeants dans un face à face rare. « Une véritable exercice de démocratie » selon Attias, dans lequel ABO, habitué du genre, comme Kagamé, se seront sentis particulièrement à l’aise. Moins dans son élément, le ministre des affaires étrangèresfrançais, Laurent Fabius. Sa présence n’aura pas manqué d’interpeller, d’autant que l’invité de marque de cette édition, Paul Kagamé, est loin d’être francophile…
Transformer pour agir et ne plus subir
Lors de son allocution d’ouverture du forum, qui au passage a réuni cette année plus de 700 participants venus de l’étranger, plus d’une centaine de médias et près de 800 participants locaux, Ali Bongo Ondimba a rappelé l’impératif d’accélérer la transformation du continent. Le thème central de cette édition. « L’Afrique, continent d’opportunité, doit nécessairement réussir sa mue. Cette question est vitale pour notre avenir commun. La question que pose la présente édition du NYFA se résume tout simplement pour les Africains à « Être ou ne pas Être », à « Agir plutôt que Réagir », à « Anticiper plutôt que Subir ».» Et d’assurer : « La réussite de la transformation de l’Afrique reposera d’abord sur les épaules et les compétences des Africains eux-mêmes ». A ce titre, le Gabon se pose comme modèle. Pendant ces trois jours de conférences, les responsables politiques et économiques viendront vanter la feuille de route mise en place par le chef de l’Etat et qui vise à atteindre l’émergence à l’horizon 2025. Même si, comme l’a rappelé ABO dans son discours de clôture : « Le NYFA, comme toutes les autres rencontres de même nature sur le continent africain, ne doit pas être considéré comme un lieu de joute oratoire, une assemblée où l’on parle pour se faire plaisir, mais comme un espace de réflexion et d’échanges dynamiques tournés vers l’action. » Avant de conclure sur une promesse : « Je réaffirme mon engagement à poursuivre avec détermination le processus de transformation du Gabon. » Un message directement adressé à ses concitoyens pas toujours convaincus par le programme Gabon Emergent… encore moins par les retombées du NYFA.
Bilan : 1 milliard d’euros de contrats
En trois ans d’existence, force est de constater que le NYFA a réussi à attirer au Gabon une nouvelle clientèle, de nouveaux investisseurs, de nouveaux partenaires, américains, asiatiques, européens, africains également, participant à changer l’image de ce pays associé au pétrole, à la manganèse et à l’immobilisme, qui se veut aujourd’hui la nouvelle destination d’affaires d’Afrique centrale.
Pour cette édition, selon un communiqué officiel, 1 milliard d’euros de contrats ont été conclus. Dont un avec la France, d’un montant 165 millions d’euros, pour la réalisation d’infrastructures sanitaires et routières ; avec le Maroc, l’académie IT Microsoft plus précisément, pour la certification de 5000 personnes par an ; entre la Gabon Oil Company et Samsung pour l’implantation d’une raffinerie à Port-Gentil, ce qui doit représenter 400 emplois directs et 3000 indirects ; avec Gabon Iron Ore pour l’exploitation d’un gisement de fer près de Kango, 100 emplois directs.
L’Amérique latine partage son expérience
Réel temps fort du forum, la rencontre avec d’anciens chefs d’état sud-américains, Alejandro Toledo (Pérou), Vicente Fox Quesada (Mexique) et George Quiroga (Bolivie), venus partager leur expérience avec les nouveaux leaders africains représentés par ABO et Paul Kagamé. L’histoire, comme l’avenir de ces deux continents étant liés. « Le XXIème siècle sera le siècle de l’Afrique, un des moteurs de l’économie mondiale » a ainsi assuré Fox Quesada. « Il nous faut une carte routière, une vision, comme celle du président Ali Bongo, et la mettre en place. Le seul moyen de changer une nation, c’est l’éducation. » Ainsi que la technologie, et la paix. Des propos repris par Alejandro Toledo, dans un discours plein d’émotion et d’enthousiasme, ancien professeur d’Harvard, qui un jour, « après avoir perdu la tête » s’est lancé en politique avant de prendre la tête du pays. Seul Indien à le faire depuis un demi-siècle. « Il ne suffit pas d’être président de la république, il faut savoir où nous voulons aller. En tant que frère, professeur, Indien des Andes du Pérou, permettez-moi de partager mon expérience.» A son arrivée au pouvoir, il lui fallait reconstruire l’économie nationale. Et c’est également sur le capital humain qu’il a investi. Et de déclarer, s’agissant de la malnutrition : « Chaque vie perdue est une vie de trop ! » Capital humain, gouvernance, intégration régionale, la diversification de l’économie… Soit les ingrédients du modèle économique sud-américain selon ses dirigeants. Lesquels ont conclu sur un appel à l’organisation d’un sommet Afrique-Amérique Latine. Les bases d’un nouveau partenariat sud-sud ont ainsi été posées à Libreville à l’image de la poigné de main finale entre ABO et ses invités.
Du show, des engagements et le coup de sang de Richard « cœur de millions »
Comme de coutume au NYFA, des personnalités à la dimension internationale étaient du programme. Après Robert de Niro, Usain Bolt, cette année le Gabon accueillait, entre autre, Akon et l’ancien champion du monde d’échecs Garry Kasparov. L’occasion de remplir les salles de conférence et de faire un peu de show. Habitué des médias, et de la politique, Youssou N’Dour s’y sera essayé également, annonçant, avec son nouveau partenaireRichard Attias, la création d’un fonds de 500 m$ destiné à promouvoir les médias africains. Alors que quelques instants plus tôt, lors de la même table ronde consacrée aux médias africains, Richard Attias dénonçait le manque de rigueur des journalistes africains, l’absence de journalisme d’investigation et la prépondérance des rumeurs colportées par les journalistes du continent et repris ensuite par les médias français. Tout cela en réalité n’ayant pour autre objet que de permettre à Richard Attias de régler ses comptes avec les médias français, lesquels l’auront baptisé « Richard cœur de millions » pour les affaires florissantes qu’il fait en Afrique. A commencer par le Gabon avec le NYFA… Un évènement « qui ne rapporte pas d’argent » dément-il. Pas sûr que son coup de sang ait réussi à convaincre… (Lire la Tribune : « Merci Richard Attias ! ») Plus touchant, la remise de la cravate de l’ex président du Pérou, Toledo à Ali Bongo, en gage de la promesse de l’avènement de nouvelles relations entre les deux pays. Belle image de fin pour le NYFA III.
Une édition, au final, certes moins dense que les précédentes, signe peut-être de l’essoufflement du concept, mais qui une fois de plus aura mis un coup de projecteur sur le Gabon. A quand un évènement du même esprit, ouvertement consacré au Gabon, organisé par des professionnels africains… et non de prétendus mécènes dontl’Afrique n’a assurément plus besoin…
* Dounia Ben Mohamed est directrice associée de l’agence Africa New Agency (ANA)