Le président Denis Sassou Nguesso du Congo a accordé un entretien à Paris Match où il est revenu sur les questions brûlantes de l’heure. Ci-dessous les grands moments de cet entretien sans tabou qui est revenu largement sur les biens mal acquis, la françafrique et, question délicate, la succession du président.
L’avocat Robert Bourgi a déclaré avoir porté des valises en votre nom au candidat Nicolas Sarkozy lors des dernières présidentielles françaises… Est ce vrai?
C’est à mon avis une déclaration irresponsable. Mais quand on connaît le personnage, elle n’a rien d’étonnant. Parler ainsi est hasardeux lorsque l’on sait à quel point les relations au niveau des Etats sont complexes.
Que vous inspirent les critiques formulées contre la «Françafrique»?
Quand on parle de Françafrique, il faut s’en référer aux Etats et à leurs intérêts. A qui la relation profite-t-elle le plus? A l’Afrique ou à la France? Difficile à dire. On peut dire que la «Françafrique» a été mauvaise, encore faut-il initier une nouvelle relation qui sera meilleure. Car tout le monde y a intérêt. Quand le général De Gaulle lance l’idée de la communauté franco-africaine, il y avait d’un côté l’aide que la France pouvait apporter à notre continent, mais de l’autre votre pays gagnait en influence aux Nations Unies. Lorsque tous les pays d’Afrique francophone joignaient unanimement leurs voix à celles de votre gouvernement, cela a-t-il été porté à notre crédit? Les Allemands demandent aujourd’hui que les francs africains, monnaie d’Etats souverains, rejoignent les comptes d’opération de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement plutôt que ceux de la Banque de France. Celle-ci résiste parce que cet argent de l’Afrique lui permet de lever des fonds colossaux à des taux dérisoires.
Vous vous indignez qu’en France on puisse demander des comptes sur les frais de bouche de nos présidents, est ce dire que vous n’enviez pas leur sort?
Dans notre culture, nous avons une certaine idée du chef. Tout le monde n’est pas chef, et le chef n’est pas tout le monde, d’autant qu’en démocratie, une majorité le désigne. On lui doit donc de la considération. Imitant ce qui se fait chez vous, certains journaux africains commencent à traîner les dirigeants dans la boue. Cela n’amènera selon moi que ce que le général de Gaulle appelait la chienlit. Lui, lorsqu’il représentait la France à l’étranger, ne rechignait ni à la dépense, ni à donner des bals pour la valoriser.
Comment êtes-vous rémunéré ?
Je suis resté agent de l’Etat depuis le premier jour et jusqu’à aujourd’hui. L’Etat me verse un salaire qui me permet de vivre confortablement avec ma famille. L’argent m’est utile, mais ce n’est pas ce qui guide ma vie. Je me suis engagé dans des batailles autrement plus dures sans y penser.
Vous n’êtes pas dépensier?
Je n’en ai pas le loisir. Ce sont mes enfants qui, à l’occasion de leurs voyages, achètent et me ramènent ce dont ils estiment que j’ai besoin. Je ne vais jamais dans les magasins. Si vous me demandez comme aux Grosses têtes de vider mes poches, je n’en sortirais qu’un mouchoir.
Suite aux plaintes de deux ONG, Transparency International et Sherpa, qui vous accusent de recel, de détournement de fonds publics. Vous faites depuis 2008, l’objet d’une procédure judiciaire en France pour des biens mal acquis…
Cela s’est fait avec simplement la volonté de nuire. Et cela choque les Congolais. Si j’avais pillé des milliards au Trésor pour acheter des châteaux en France, c’est à notre justice de s’en emparer. Ne pas le reconnaître, c’est mettre en doute notre souveraineté. Pour instruire sur des sommes soi disant détournées au Congo, il faut aller constituer le délit au Congo.
Vos avocats ont plaidé cela et ont été déboutés…
Quand la cour de cassation ordonne la poursuite de l’instruction, on est au comble de la chose, non? C’est ce que je crois et c’est la raison pour laquelle nous allons saisir la justice internationale. On proclame que ce sont des biens mal acquis, à quel titre? Ce n’est même pas prouvé, que déjà on le tient pour une vérité. Où est la présomption d’innocence? Le vrai problème n’est pas juridique, il est politique et médiatique.
Dans cette enquête, on évoque 24 biens immobiliers en région parisienne et 112 comptes bancaires qui seraient détenus en France par votre famille…
J’ai fait une déclaration autorisant les banques à rendre publics les comptes éventuels que je pourrais détenir directement ou indirectement. A ce jour, je suis sans nouvelles de leur part, et vous aussi.
Et s’il s’avérait que ces biens appartiennent réellement à vos enfants?
Il me semble que le fils de votre ministre des Affaires étrangères a commis quelques dépenses parfois inconsidérées, pour autant pointe-t-on du doigt son père au point de déstabiliser son pouvoir? Par ailleurs, mes enfants sont mariés, parents et même, pour certains, grands-parents. Ils ont le droit de vivre leurs vies, ce sont des citoyens libres. Certes il ne faut pas qu’ils commettent des excès, donnent le sentiment qu’ils ont volé quelque part. Mais je ne crois pas qu’ils méritent d’être traqués parce que ce sont mes enfants. Une de mes filles travaille avec moi, comme autrefois Claude Chirac auprès de son père. Elle a fait de brillantes études, elle a gagné cette place et ma confiance. Est-ce une raison pour que la police française aille fouiller dans les poubelles pour savoir où et combien elle achète ses chaussures? Quand leurs services font le tour des magasins puis des médias pour que finalement soit publiés le prix de nos chaussettes, de nos cravates, de nos bijoux, c’est un lynchage inacceptable. Lorsque les Etats du Golfe offrent traditionnellement des montres en or à leurs hôtes et visiteurs, ces derniers savent-ils qu’on pourrait considérer ces cadeaux comme des biens mal acquis? Pourquoi ne s’en prend-on qu’à des Africains? Les Russes et d’autres, les pays du Golfe notamment, rachètent tout Paris et même bientôt vos banlieues je crois, et personne ne vient crier au scandale? Quelle est la motivation qui perce derrière les plaintes déposées par des ONG qui ont pour principaux actionnaires des intérêts étrangers ? On s’en prend à l’Afrique parce qu’elle est faible, mais comme je vous l’ai dit, ce ne sera pas toujours le cas.
Quels souvenirs garderez-vous de Nelson Mandela?
Le 11 février 1990, je vole au-dessus de l’Atlantique, en direction de Washington. Je suis le premier chef d’Etat marxiste invité en visite d’Etat. Pour George Bush père, c’est une façon de me remercier. C’est le pilote qui est venu nous annoncer sa libération et j’ai sabré le champagne pour saluer l’événement. Un mois plus tard, je rencontrais Mandela pour la première fois à Windhoek, capitale de la Namibie. Il était 18 heures, le soleil, immense et rouge à l’horizon se couchait, quand le drapeau de l’Afrique du Sud a été descendu pour hisser celui de ce nouvel Etat indépendant. Mandela, simple citoyen, était là, au milieu de nous les dirigeants africains, c’était un moment très émouvant. Lors d’une tournée africaine pour récolter des fonds qui permettraient de rapatrier les anciens combattants de l’ANC, il est passé à Brazzaville. Il n’était pas encore président. J’ai fait ouvrir la boîte de nuit du palais présidentiel, nous avons dansé jusqu’à l’aube et j’ai évidemment contribué à sa cause. Mandela restera pour l’Afrique un symbole de lutte. Pour nous, il est immortel.
Vous venez de fêter vos 70 ans et avez passé vingt-huit ans au sommet de l’Etat. Envisagez vous votre succession?
Ce n’est pas à l’ordre du jour.
Paris Match