« Mon travail est périlleux et atypique. Je conseille des investisseurs désireux de parier sur les régions dites ‘’sensibles’’ ». Ainsi se présente Samuel Laurent, en introduction de son livre « Sahelistan » (éditions du Seuil. France, 2013).
Dans le cadre de ses activités, il se rend en Lybie, après la révolution. « Je me suis rendu sur place pour une mission que je pensais banale (….). Mais dans la poussière et les fusillades, j’ai découvert une réalité aux antipodes de ce que la presse voulaient bien nous montrer ». Et la situation que décrit l’auteur est tout sauf rassurante.
Certes on peut trouver excessifs certains jugements de monsieur Laurent, notamment sur les nouvelles autorités libyennes, excessifs. Etre gêné par certains passages du livre qui ressemblent à du SAS. Mais ce n’est pas le plus important. L’essentiel du l’ouvrage, et qui fait son intérêt, est ailleurs.
En effet, Samuel Laurent montre que le renversement du « système Khadafi » (pour lequel il n’a aucune sympathie particulière) a eu comme conséquence une déstabilisation de la Lybie et, au-delà, de toute la région sahélo-saharienne. Désormais, note l’auteur, Aqmi dispose d’un véritable sanctuaire dans le vaste sud du pays. Ainsi, c’est de là que serait parti le commando qui a attaqué le site d’In Amenas en Algérie. De même, la route de la Lybie vers la Méditerranée est ouverte aux trafiquants en tous genres, en provenance du Sahel (et même de plus loin). Les trafics portent sur les cigarettes, la drogue, les immigrants clandestins, les contrefaçons, « mais également les terroristes en partance pour l’Europe ». A lui seul, le trafic de cigarettes rapporterait plus de trois cent millions de dollars par an.
Dans cette anarchie, une véritable guerre civile serait, selon l’auteur, en train de s’installer entre les Toubous, libyens négro-africains et leurs compatriotes arabes. Ces derniers, ou du moins certaines de leurs tribus, procèderaient à une véritable « chasse aux noirs ». Et voilà que ressurgit le spectre (sud) soudanais.
En filigrane, « Sahelistan » montre aussi que les problématiques géopolitiques africaines et arabes sont beaucoup plus imbriquées entre elles qu’avec le reste du monde. Pour le meilleur et (quelques fois) pour le pire. En conclusion de son livre, Samuel Laurent indique d’ailleurs que « depuis l’intervention française au Mali (…) le combattants d’Aqmi, du Mujao ou d’Ansar Dine doivent rapidement trouver un nouveau refuge (…). Et c’est, selon lui, vers le sanctuaire libyen qu’ils se dirigent.
Face aux profonds bouleversements qu’elles vivent actuellement, n’est il pas temps pour ces deux zones de penser ensemble une vraie politique de coopération économique, culturelle et sécuritaire, débarrassée de tous les préjugés encore en vigueur de part et d’autre? Qu’attend-on pour créer enfin un « forum économique et social » afro-arabe, capable d’apporter des réponses sérieuses et pérennes aux multiples défis ? Des réponses culturelles, civilisationelles et non pas seulement (ou principalement) militaires.
Majid KAMIL
Ancien ambassadeur/Directeur de banque